Michael Jordan est-il la réincarnation de Jésus ?
« Je l’ai trouvé ! »
Sonny Vaccaro, héros du film Air, ne cache pas son enthousiasme
quand il partage avec un collègue son épiphanie. Contrairement aux apparences, Vaccaro
n’est pourtant pas un de ces illuminés qui trouvent Dieu au fond d’un bol de
soupe. Sa révélation est celle d’un jeune joueur de basket-ball qui n’est pas
encore une icône : Michael Jordan. Vaccaro est cadre pour Nike et cherche
à recruter l’athlète qui sera leur prochaine tête de gondole. Sauf qu’à
l’époque, la firme à la virgule est un nain de l’équipement sportif – à l’époque
dominé par Adidas et Converse. La suite, un simple déplacement chez Foot Locker
vous la révèlera : l’athlète signera avec Nike un contrat historique, qui
lui a rapporté à ce jour… plus d’un milliard de dollars, alors même qu’il a
déserté les terrains de basket il y a belle lurette.
Réussi par bien des aspects, Air
n’a de fait rien de foncièrement original. C’est un récit comme en raffole les
Américains – l’histoire d’un outsider qui commence tout en bas pour finir au
sommet. C’est une grandeur sans décadence, un Cendrillon où la chaussure
de sport a supplanté la pantoufle de vair. Une note de bas de page, à réserver
aux fadas de sneakers ? Pas forcément. Car à défaut de réinventer la roue,
le film a le mérite de capturer ce qu’est réellement devenu Michael Jordan :
plus qu’une idole du sport, une figure christique. Une réincarnation moderne de
Jésus.
Bigger than fiction
Air n’est pas la
première œuvre à s’attaquer à la légende jordanienne. Trois ans avant, The
Last Dance, série-fleuve, partait déjà du baroud d’honneur du joueur (la
saison 1997-1998 qu’il effectua avec les Chicago Bulls) pour raconter MJ, sa
vie, son œuvre. Air peut même être considéré comme un spin-off de
The Last Dance, puisque c’est après avoir regardé la série que le
scénariste Alex Convery eut l’idée de consacrer un film entier au deal entre Nike
et la famille de MJ, et les tractations ayant eu lieu en coulisses. Air
fait un pari osé : bâtir un film entier sur Michael Jordan… sans Michael
Jordan. Dans cette version de l’histoire, il apparaît toujours de dos, presque
masqué par un autre protagoniste, mutique. Comme si mettre en scène le
personnage, c’était prendre le risque qu’il monopolise le récit, qu’il écrase
de son charisme toute l’histoire. Il est absent, et pour autant l’histoire ne
vit que pour et par lui. Tous les personnages – sa famille comme ses sponsors –
comptent sur lui pour leur assurer des lendemains sonnants et trébuchants. Pour
eux, n’est-il pas déjà une sorte de messie ?
The Last Dance, quant à lui, est un documentaire, dans lequel Jordan et les autres jouent leur propres rôles, de façon plus ou moins fidèle, plus ou moins réécrite. Une chose est sûre, en tout cas : le patron est et reste Michael – son charisme et son sens du spectacle sont restés intacts. Dans Air comme dans The Last Dance, on pressent in fine la même idée d’un héros « bigger than fiction » comme d’autres sont « bigger than life ». La vie et l’œuvre de Jordan – que des millions de personnes ont vu jouer sur un terrain – serait-il difficile à circonscrire dans les confins d’un simple biopic ?
Royaume des cieux
The Last Dance nous
raconte par le menu la destinée jordanienne, christique par bien des aspects. Après
une carrière historique, qui le porte jusqu’au firmament, il décide après la
mort de son père –survenue dans des circonstances mystérieuses – de prendre sa
retraite et se lance dans une aventureuse carrière de joueur de base-ball. Mais
ses performances y sont bien moins stellaires qu’au basket, ce qui le pousse à
revenir jouer en NBA. Retour signifié par deux petits mots lourds de
sens : « I’m back ». Comme Jésus donc, Jordan aura dû mourir
– au moins symboliquement, en renonçant à la discipline sur laquelle il règne –
avant de faire un retour triomphal, et achever d’écrire sa légende. Comme pour
celui du fils de Dieu, le mythe jordanien a son lot de fétiches, qu’ils
prennent la forme de symboles (le fameux « jumpman »), de numéros
porte-bonheur (23) ou de titres honorifiques : « His Airness ».
Jésus était le roi des Juifs, Jordan sera le roi des airs. Juste en dessous du
royaume des cieux.
Finalement, le sacre de Michael
Jordan comme alter ego du Christ n’était-il pas prévisible ? A l’heure où la religion organisée telle qu’on
la conçoit depuis des siècles ne cesse de décliner, il est entendu qu’on se
tourne vers d’autres formes de spiritualités, comme le développement personnel
ou le néopaganisme. Claude Lévi-Strauss, déjà, parlait de « bricolage »
pour désigner cette façon de se constituer des syncrétismes réunissant des
éléments issus de diverses sources religieuses et historiques. Lorsqu’on s’esbaudit
des exploits sportifs de MJ ou de Kylian Mbappé, ou que l’on vénère – parfois aveuglément
– Beyoncé ou Mylène Farmer, n’est-on pas déjà dans le domaine du religieux, du
culte ? Quand Dieu n’existe plus, il faut le réinventer.
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