Limbo, les bas-fonds hongkongais
Une main coupée laissée loin derrière son juste propriétaire. Des enquêteurs pataugeant les pieds dans les ordures à la recherche d’hypothétiques indices. En quelques scènes franchement glauques, Limbo donne le ton, qui perdurera tout au long du film. Ici, tout est sombre : les motivations du tueur qui sévit (forcément), les petits contournements d’avec la légalité des flics concernés, et jusqu’au noir et blanc anxiogène dans lequel baigne l’histoire. Un choix chromatique qui en dit long sur l’esprit de l’entreprise : si le film a été tourné en couleurs, il a été converti ainsi en post-production afin... d’en atténuer la violence, pourtant encore omniprésente.
Réalisateur de plusieurs wu xia pian (films d’arts martiaux), notamment portés par Donnie Yen, Soi Cheang revient à ses premiers amours polaresques et se pose en digne descendant de David Fincher (Seven, Mindhunter) de Bong Joon-ho (Memories of Murder) ou de Nic Pizzolatto (la série True Detective, particulièrement sa première saison). On pense également au grand Johnnie To, compatriote et ami de Cheang, d’autant plus que la sous-intrigue de Limbo autour d’une arme de service égarée rappelle son Police Tactical Unit.
Mais se poser délibérément comme descendant de ces maîtres ne suffit pas toujours. De fait, en près de deux heures, Limbo alterne sans cesse entre embardées menées pied au plancher (les scènes de poursuites piétonnes dans les taudis hongkongais, point d’orgue du film) et vrai piétinement – notamment lorsqu’il s’attarde sur la psychologie, trop archétypale, de ses protagonistes. On est loin des histoires menées tambour battant – quoique jamais superficielles – du grand To. Reste aussi la question du sort réservé au personnage féminin principal : kidnappée, mutilée, malmenée, violée, elle endure ici tous les sévices possibles et imaginables. D’aucuns diront que la voir se relever et se tenir droit debout après tant d’épreuves lui « forgent le caractère » et font peut-être d’elle la véritable héroïne du film ; pas nous. À travers son traitement transparaissent aussi les qualités et les limites d’un genre extrême presque par nature : jusqu’où faut-il aller dans l’innommable et l’inhumain pour explorer les noirs tréfonds de l’âme humaine ? A défaut de répondre à la question, Limbo renouvelle - une fois encore - notre fascination pour le genre.
Limbo (Zhi Chi), Soi Cheang, 2021. Avec : Ka-Tung Lam, Mason Lee, Yase Liu, Hiroyuki Ikeuchi
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