Quand la musique est nonne : pourquoi Sister Act est bien plus qu'un film avec des bonnes sœurs qui chantent (partie 1)
Trois fois par an, peut-être plus, je regarde les deux films Sister Act. Et ce, depuis petite ; depuis un âge où l’humour et la subtilité du scénario me passaient au-dessus de la tête comme un chant d’oiseau. Je ne prends même plus la peine de les ranger parmi les autres DVD. Ils traînent sur l’étagère, le plus accessible possible, comme des reliques de prières qui n’ont même pas le temps de prendre la poussière.
Si tant est qu’il existe de la bonne et de la mauvaise culture populaire (je n’en suis, à ce jour, toujours pas convaincue…), Sister Act fait pour moi partie de la crème, serait voire la cerise sur la pointe de l’Everest de la proposition culturelle américaine. Pourquoi ça ? Voilà mes arguments.
Le premier film,
réalisé par Emile Ardolino et sorti en 1992 est, un an plus tard seulement, suivi
par le second, réalisé par Bill Duke. Ardolino n’est nul autre que le
réalisateur de l’iconique Dirty Dancing, autre énorme part du
gâteau culturel de l’Oncle Sam. N’en déplaise aux élitistes, la quantité, la
longévité et l’ampleur des références disséminées ici et là font encore danser
bébé aujourd’hui. Chapeau, Ardolino ! Duke a, de son côté, autant joué que
réalisé et pose sur la table un CV contenant une grande majorité de projets
pour le petit écran : Deux Flics à Miami et son générique aux
hormones ou A Raisin in the Sun avec l’immense Danny Glover. En
1991, il est même en compétition pour la Palme d’or cannoise pour Rage in
Harlem. Preuve en est que l’art populaire est nourriture divine.
L’histoire
s’entortille autour d’une anti-héroïne à laquelle on s’identifie tant la vie
est difficile et à laquelle on s’attache. (Faire le bien autour de soi, malgré
soi, en se dépatouillant dans sa propre vie, quelle belle veine…). En face
d’elle, un méchant nous exaspère et finit en bocal dans son jus. Si le cinéma
exige des méchants de multiples couches de subtilité et de sensibilité, j’ai parfois
besoin d’une figure simple à haïr. Vince LaRocca, quelle abjection de qualité – et Harvey Keitel, quelle qualité.
Le panel des
émotions balayé est large et nous donne une comédie bien dosée qui ne cherche
pas le rire hystérique. Les disciplines se rythment avec beaucoup de
respirations et les identités comiques s’asseyent sur une stèle taillée par les
nombreuses forces et vulnérabilités des émotions humaines. Et, comme l’ont très
souvent répété les pontes, la comédie, c’est un art très sérieux, ça se
travaille avec des doigts d’orfèvre. C’est un travail de rythme, de rebonds, de
polysémies, de quiproquos. Saluons donc Paul Rudnick pour l’écriture du premier
volet ainsi que James Orr, Jim Cruickshank et Judi Ann Mason pour le second.
Le jeu des
références est parlant et équilibré : le film rend hommage sans être pour
autant une étagère à figurines. Rainer Maria Rilke, les Bluebells, les Ronettes
(les Ronells est le groupe dont Dolores Van Cartier est la chanteuse), Run DMC,
Big Daddy Kane, le gospel. Tout résonne dans mes oreilles. La dimension
spirituelle et religieuse, elle, n’est là que pour servir l’histoire et faire
piédestal aux principes d’amitié et d’humilité qui sont véhiculés dans les
films. Elle n’est ni singée, ni glorifiée.
Aussi joyeux soient-ils, les deux scénarios plongent sur des conversations qui n’auront probablement jamais de conclusion, et abordent un large nombre de thèmes. Les modèles sociétaux en vase clos et le basculement de l'écosystème lorsqu’un élément est déplacé de sa place initial ; la jeunesse et sa construction dans l’art qui déterre des problématiques vieilles comme le monde, comme celle des rapports familiaux, plus particulièrement dans les milieux défavorisés et notamment face à la place du rêve et celle de la réalité. Le questionnement de la foi ; doit-elle éclipser les individus ou les révéler comme la musique le fait ? Avons-nous besoin d’une guidance divine ou d’une synergie de groupe ?
Ensuite, Marc
Shaiman. Le compositeur et superviseur musical a tellement aimé travailler sur
le premier film, qu’il a co-produit le second. Le mélange entre les styles
requiert son juste équilibre. Le gospel, le rock, le rhythm & blues, la
musique électronique et le hip hop naissant, brut de beauté, sont là sans se
marcher dessus et se renvoient la balle à travers les scènes. Au milieu de
cette cuisine de choix, l’effet fédérateur de la chorale et la force des chœurs
spirituels nous soufflent tendrement dessus. Les tessitures, la chaleur de
l’ensemble et la distinction des voix d’opéra, d’église, rock et soul, sous les
doux gestes meneurs de Whoopi Goldberg. Enfin, les paroles sont comme des
prières de profane susurrées par la pop et le rap, qui ont puisé leur force
dans le besoin viscéral d’expression et de proclamation sociale. Les chansons
que j’ai tant entendues deviennent des prophéties pour mes oreilles qui
doutent.
Whoopi Goldberg, l’électricité du bout des Franciscaines jusqu’à l'auréole sainte. Maggie Smith, le sourire d’amour le mieux planqué. Lauryn Hill, que j’ai rencontrée grâce à Rita et que je suivrai jusqu’en enfer (sans doute après 4 heures d’attente bien tassées). Harvey Keitel : y a-t-il mieux que lui pour interpréter un mafieux ? « La distribution d’ensemble », comme on dit dans le jargon. Ce groupe de religieux et d’ados fantastiques, un rien cinglés.
Moralité : le patrimoine populaire est important, c’est un trésor. Il est puissant et plus humain que nous-même. Il est le sacerdoce méprisé de la majorité de ceux qu’il construit. Je l’aime, lui et ces notes de cancre sur les plateformes. Après tout, c’est grâce à Lara Croft que j’ai découvert William Blake.
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