Ted Lasso, terrain d'entente

 


Fin 2020, alors que le monde se remet tant bien que mal de sa gueule de bois post-confinement, déboule un entraîneur de foot nommé Ted Lasso tout en rondeurs et en affabilité, qui conquiert rapidement le cœur de hordes de téléspectateurs. L’humble Ted Lasso comme alternative aux mécaniques roulées par Donald Trump, Jair Bolsonaro ou Didier Raoult ? Il faut avouer que la tentation était grande.

Né dans une série de spots de pub voués à évangéliser le public étasunien sur les vertus du « soccer », Ted Lasso (Jason Sudeikis, proche de la perfection) est propulsé star de sitcom par l’alors jeune plateforme de streaming Apple TV+. La série reprend le principe élémentaire du poisson hors de l’eau, ou plutôt ce qui arrive alors quand le poisson commence à s’habituer à la température et à copiner avec la faune locale. Il faut dire que la faune en question est tout à fait fréquentable : autour du personnage éponyme, gravitent Rebecca (Hannah Waddingham), épouse bafouée qui choisit Lasso pour coacher l’équipe dans le seul but de couler le club, propriété chérie de son ex-mari ; Roy Kent (Brett Goldstein), vétéran revenu de tout qui cache un cœur gros comme ça ; Jamie Tartt (Phil Dunster), jeune joueur ingérable voué à s’assagir, et qui se bat avec Kent pour obtenir les faveurs de la belle et pétillante Keeley (Juno Temple) ; Nate Shelley (Nick Mohammed), le « wunderkind » jamais considéré à sa juste valeur…

Relation spéciale

Et, rapidement, ça fonctionne. Peut-être même plus que ça ne devrait réellement : sans être totalement neuves, les dynamiques amicales ou amoureuses sont suffisamment bien esquissées pour qu’on s’y accroche. Les intrigues sont assez classiques, mais les personnages – nerf de la guerre de toute bonne série comique – sont solidement écrits et interprétés, et l’habituel jeu de clins d’œil culturels achève d’assaisonner le tout. Le co-créateur de Ted Lasso, Bill Lawrence, est l'homme à qui l’on doit Spin City et Scrubs, deux modèles (du moins dans leurs premières saisons) de comédies de bureau et de comique troupier – et ça se ressent.

Surtout, avec un pied de chaque côté de l’Atlantique, Ted Lasso marche sur le fil entre le mauvais esprit typique des séries britanniques et l’indécrottable sentimentalisme des sitcoms américaines. C’est ce qu’en diplomatie on appelle la « relation spéciale », privilégiée entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Cette alliance culmine dans deux épisodes de la saison 2 (la meilleure) : dans l’épisode de Noël tout d’abord, un incontournable de toute série UK qui se respecte, puis dans l’épisode consacré à l’enterrement du père de Rebecca. L’un comme l’autre sont sans doute ce que Ted Lasso a fait de plus subtil, de plus sincère et aussi de plus drôle.

 

Carton jaune

Puis vint la saison 3. Repoussée plus d’une fois pour des rumeurs de tournages guère rassurantes, elle débarque finalement en 2023, et charrie derrière elle l’impression tenace que le soufflé est largement retombé. Cela tient d’abord à des problèmes de rythme : après des épisodes de 30 minutes – format standard des sitcoms –, ceux-ci durent 45 minutes, puis une heure, sans que les auteurs aient nécessairement plus de choses à raconter. On touche là à ce que les plateformes de streaming auront généré de pire : des œuvres au rythme flottant, libérés des carcans d’hier (contraintes physiques des salles de cinéma, coupures pub télévisuelles), en roue libre totale, bringuebalées çà et là au bon plaisir de leurs auteurs. Cette durée artificiellement gonflée trahit aussi la volonté de la grenouille Ted Lasso de se faire aussi gros que les bœufs Six Feet Under ou Mad Men, et de vouloir s’imposer en « drame de prestige » comme on dit en ces temps de Peak TV finissante. De vouloir, à tout prix et quitte à chausser les gros sabots, commenter tout ce dont nos angoisses sociétales sont faites : la masculinité (parfois toxique), l’homosexualité, l’immigration, l’égalité des sexes…

D’autant que les personnages ne sont guère mieux traités. Que Ted Lasso (pas encore officiellement annulée) raccroche les crampons ou fasse jouer le temps additionnel, son ultime saison ressemble en tout cas à un agrégat de putatives séries dérivées, hypertextes, avec ses solistes dispersés un peu partout, plus qu’à un beau chant polyphonique. Particulièrement criant est le cas de Nate Shelley, équivalent local du Lancelot de Kaamelott : réduit à jouer les potiches dans l’équipage du coach Lasso, il vole de ses propres ailes pour prendre la tête d’un club concurrent et dit publiquement tout le mal qu’il pense de son ancien employeur. Avant de revenir, la queue entre les jambes et la bouche pleine d’excuses, auprès du même Lasso. Pourquoi ? Mais pour que chacun dans ce microcosme où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » ait droit à son happy end, pardi ! La conclusion de la série est à cette image : à la fois convenue et réconfortante, plaisante et dénuée de la moindre prise de risque. Ce qu’en gastronomie on appelle de la comfort food. En trois saisons, Ted Lasso aura toutefois montré qu’on peut faire de la bonne comédie avec des bons sentiments ; ce n’est déjà pas rien.

Ted Lasso, Jason Sudeikis, Bill Lawrence, Brendan Hunt & Joe Kelly, 2020-2023 (3 saisons). Avec : Jason Sudeikis, Hannah Waddingham, Brett Goldstein, Phil Dunster, Juno Temple.

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