Bernadette, l'apolitique de l'autruche
Le traitement « décalé » des premières scènes de Bernadette laisse à penser que ses scénaristes ont vu et apprécié Vice, excellent biopic déglingué d’Adam McKay sur Dick Cheney. Comme dans Vice, tous les moyens sont bons pour faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une biographie classique : une chorale d’église précise qu’il s’agit avant tout d’une fiction avant qu’on embraye sur un générique où des photos de la famille Chirac sont montées sur Les rois mages de Sheila ; plus tard des archives bien réelles avec Hillary Clinton ou Thierry Ardisson sont bidouillées pour y intégrer des acteurs. Similairement, Catherine Deneuve (point d'orgue du film) ne ressemble pas à la vraie Bernadette, pas plus qu’hier Sam Rockwell n'était le sosie de George W. Bush. L’idée n’est alors plus de mimer ou singer des politiciens jouant déjà un rôle sur la scène publique mais d’en livrer une interprétation subjective.
Pourtant, alors que les scènes
s’enchaînent, c’est moins à Vice qu’on pense qu’à Forrest
Gump. Comme le meilleur pote de Bubba, la première dame traverse la
France des années 90 et 00 en assistant aux événements ou en les provoquant sans qu’on
sache trop bien comment ni pourquoi : les Pièces jaunes et David Douillet, la mort de Lady Di, la Coupe du
monde 98, la résistible ascension de Nicolas Sarkozy... Exemple frappant de
cette relecture à gros traits : juste avant la dissolution de l’Assemblée
nationale en 1997, « Bichette » jardine lorsqu’elle entend
« Chichi » et ses barons (Juppé, Villepin - tous une Corona à la main,
mouarf) évoquer cette éventualité. Armé de son « bon sens »
typiquement corrézien, elle leur prédit à tous que c’est une mauvaise idée,
comme elle le fera pour un 21 avril 2002 de sinistre mémoire. Une madame Irma en tailleur Chanel ?
À la sortie de Bernadette il y a quelques semaines, Libération en parlait comme le « premier film authentiquement macroniste ». C’est, au choix, cruel pour ce qu’il reste du macronisme ou flatteur pour le film, tant celui-ci refuse de tremper le petit doigt de pied dans tout ce qui pourrait s’apparenter à de la politique. Tous ceux qui se souviennent des années 90 ont un avis tranché sur Jacques Chirac, sauf les scénaristes de ce long-métrage visiblement : girouette ou « Super-Menteur » pour les uns, réformateur et sauveur de la France après les deux septennats de Mitterrand pour les autres… Surtout, il fut, même involontairement, le marchepied idéal à Nicolas Sarkozy, président le plus conservateur de l’histoire de la Vème République ici réduit à un simple Rastignac emperruqué. Loin du marbre dont on fait les grands films politiques, Bernadette est hélas de la faïence dont on fait les romans-photos.
Bernadette, 2023, Léa Domenach. Avec : Catherine Deneuve, Michel Vuillermoz, Denis Podalydès, Sara Giraudeau, Laurent Stocker.
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