Grégory Tilhac, directeur artistique du festival Chéries-Chéris : "Beaucoup de gens ont encore une grille de lecture très hétéronormée du cinéma LGBT"
![]() |
Sans jamais nous connaître |
Le festival parisien Chéries-Chéris, consacré au cinéma LGBTQI+, fait son retour du 18 au 28 novembre. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Grégory Tilhac, directeur artistique de ce festival, qui revient pour nous sur les défis et les promesses de cette cuvée 2023.
Quelle est l’histoire du festival Chéries-Chéris ? Quelles en seront les nouveautés cette année ?
Grégory Tilhac : Nous fêtons cette année la 29e édition de Chéries-Chéris. Le but de ce festival à sa création en pleine épidémie de SIDA était de rendre plus visibles les vies des personnes gays et de créer une prise de conscience dans l’opinion publique. À l’époque, beaucoup de gens les considéraient encore comme des « déviants » et le festival souhaitait les traiter avec davantage de respect et de reconnaissance ; en somme leur rendre justice, via le cinéma.
Il y avait très peu de films LGBT ; ceux-ci venaient surtout des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France et, de fait, la programmation du festival était assez modeste. Depuis ses débuts, Chéries-Chéris ne cesse de prendre de l’ampleur, puisque la production LGBT est aujourd’hui totalement mondialisée. Nous recevons des propositions venant de tout autour du globe : cette année, nous avons même battu notre record en termes de nationalités représentées, avec 40 pays ! Certains d’entre eux n’avaient jamais postulé, comme le Nigeria ou le Kosovo.
Pour vous, c’est le signe que des thématiques que l’on retrouve très souvent dans le cinéma LGBT, liés à la sexualité ou l’identité, parlent à toutes et tous ?
Grégory Tilhac : Je tiens beaucoup au terme d’« universel » car on nous a collé trop d’étiquettes, comme celle d’un événement « communautariste ». Il y a beaucoup d’incompréhension à ce sujet – y compris de gens se disant humanistes – dans un pays comme la France où le maître-mot est l’inclusion républicaine, et où l’on est hanté par le spectre du communautarisme anglo-saxon. Il est pourtant essentiel que les personnes LGBT puissent se retrouver entre elles pour réfléchir aux enjeux qui les concernent directement (l’homoparentalité, la transphobie, l’homophobie…) et cimenter leur communauté autour d’un événement comme celui-ci. D’autant que si l’on prend le sigle LGBTQIA+++, cela englobe une partie très importante de la population française !
Beaucoup de gens conservent pour les films LGBT une grille de lecture très hétéronormée, voire homophobe. Aujourd’hui, une personne hétérosexuelle ne clamera plus haut et fort qu’elle est homophobe, mais certaines barrières mentales subsistent, et certaines choses dérangent encore dans les représentations à l’écran. Certaines structures de production et de diffusion spécialisées dans le cinéma LGBT se heurtent aux même problématiques que nous et font face à des préjugés terribles et des jugements péremptoires, qui dénotent un mépris fondamental et d’un vrai manque de curiosité. Tout cela fait que les films LGBT sont très peu distribués, et toujours par les mêmes exploitants…
![]() |
20 000 espèces d'abeilles |
Pouvez-vous nous dire deux mots du prix Libertés Chéries ?
Quels seront les points forts de cette édition 2023 ?
Je citerai également Conann, à la mise en scène incroyable : à chaque fois que je le vois, je me demande comment il est possible de déployer un imaginaire aussi riche, une inventivité visuelle de chaque instant ; 20 000 espèces d’abeilles, un chef-d’œuvre, dont l’actrice, la jeune Sofía Otero, a été récompensée par le prix d’interprétation à la Berlinale ; All the Colours of the World Are Between Black and White, long-métrage nigérian lauréat du Teddy Award à Berlin également. Un film très étonnant, qui rappelle le cinéma de Claire Denis ou Wong Kar-wai dans la technique ou le cadrage, et dans cette manière de filmer les corps d’une façon très sensorielle ; Peafowl, portrait inspirant d’une danseuse qui retourne dans sa famille ; l’électrisant et drôlissime Kokomo City, qui met en scène des prostituées trans sans victimisation ni misérabilisme et joue avec les codes de la blaxploitation ; Sergent-Major Eismayer, love story située dans le monde militaire avec deux acteurs géniaux ou encore Split, la première série d’Iris Brey.
![]() |
Kokomo City |
Vous proposerez aussi des séances de films plus anciens. Un bon moyen de se rendre compte du chemin parcouru ?
Et pour poucer, commenter, réagir à un chouette blog : Sitcom à la Maison !