Citoyens clandestins, en attendant les barbares

On n’imaginait pas forcément Lætitia Masson, connue pour ses adaptations de Christine Angot (Pourquoi (pas) le Brésil) et d’Éric Fottorino (Chevrotine) à la tête d’une mini-série d’espionnage chassant sur les terres de John Le Carré. On n’imaginait pas, et on avait tort – il ne faudrait jamais résumer un créateur à ce qu’il a fait jusqu’ici, ni subodorer des livres qu’il a dans sa bibliothèque. Cette fois-ci, c’est donc sur un bouquin de DOA, l’un des tauliers du thriller sanguin et sanglant à la française, que le choix de Masson s’est porté. A priori, l’idée d’en faire une mini-série (quatre épisodes de moins d’une heure) coule de source : le pavé originel dépassait les 700 pages et fourmillait d’intrigues enchevêtrées – pas facile de rendre cela digeste en un long-métrage de deux heures. Prendre le temps, prendre son temps, est l’un des luxes dont la télévision bénéficie et que le cinéma n’a pas…

A l’arrivée, pourtant, ce choix formel finit presque par se retourner contre Citoyens clandestins. Pleine comme un œuf, la série veut tout disséquer de son sujet, n’en rater aucune ramification : les « petites mains » employées par des milices privées faire la sale besogne refusée aux espions d’Etat et les agents infiltrés au cœur des réseaux islamistes et la guéguerre des services qui permet aux « terro » de s’en tirer et les journalistes enquêtant sur tout ce nid de guêpes… A force de vouloir être partout, Citoyens clandestins finit par ne plus n’être nulle part ; à force de vouloir réconcilier le didactisme (pauvre Pierre Arditi, sommé de scander des tirades wikipédiesques sur la géopolitique du terrorisme) et le thriller pur et dur (Gringe, très convaincant en prolétaire du renseignement pris entre deux feux), on finit par s’éparpiller.

La déception est d’autant plus amère que s’annonçait passionnante l’étude de cette période qui naît au « jour d’après » le 11-Septembre – qui signe la fin du fantasme de la « fin de l’Histoire » prophétisée par Francis Fukuyama – et lors des élections présidentielles françaises de 2002 à l’issue désormais connue. Le passé est toujours un peu prologue, comme l’écrivait Shakespeare, et cette ère ressemble comme deux gouttes d’eau à une funeste introduction à la nôtre. Dans son livre La Revanche des passions, le politologue Pierre Hassner parlait lui « d’embourgeoisement du barbare et de barbarisation du bourgeois » pour décrire les lignes de front redessinées au début du XXIe siècle, et le terrorisme se réappropriant les codes de la mondialisation pour l’attaquer frontalement, alors que les Etats de droit semblent prêts à toutes les compromissions pour annihiler cet ennemi nouveau. C’est bien dans cette époque claire-obscure que Citoyens clandestins prend place, mais sans l’éclat attendu – pour tout dire, on a préféré analyser la série après coup que de la regarder… Alors que le sujet était brûlant, c’est in fine l’eau tiède qui prévaut.

Citoyens clandestins, Lætitia Masson, 2024 (1 saison). Avec : Raphaël Quenard, Nailia Harzoune, Gringe, Pierre Arditi, Nicolas Duvauchelle.

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