Lis tes ratures : Gary Cooper – Personne n'est parfait

 


On se souvient de Tony Soprano clamant sa nostalgie de Gary Cooper dans la série à son nom. On se souvient aussi de Romain Gary écrivant Adieu Gary Cooper en 1965. On se souvient enfin du vénérable Francis Lacassin et de son incontournable Contre-histoire du cinéma, selon qui « les rides de Gary Cooper ont plus contribué au renouvellement de ce genre que le talent ou l’imagination du scénariste le mieux appointé d’Hollywood. » De « Coop », la postérité aura donc retenu les westerns, un en particulier – Le train sifflera trois fois – et surtout une présence : une silhouette dégingandée, faussement nonchalante, à l’autorité naturelle sans pour autant intimidante, puisque Cooper n'est pas John Wayne. La postérité est un peu injuste : au cours des dizaines de films qu’il aura tourné, l’acteur aura interprété les cosaques, les hors la loi, les guérilleros, les légionnaires, les millionnaires excentriques... L’ouvrage de Christophe Leclerc, qui paraît dans l’excellente et très accessible Stories de Capricci, nous fait redécouvrir les multiples facettes de cet homme exigeant.

Initialement cascadeur, Gary Cooper fait ses armes dans le Hollywood balbutiant et mutique – celui-là même que Damien Chazelle a conté dans son dantesque Babylone. Il « endosse tous les emplois possibles : légionnaire, aviateur […], skipper sur un yacht ou simple marin. » C’est quand le parlant arrive et laisse loin derrière loin les interprètes incapables de donner de la voix qu’il débute dans le western, avec Le Virginien. Mais soucieux de se diversifier, il tourne « vingt films en cinq ans, et aucun ne sera un western. » Ses principaux faits d’armes durant cette période : le guerrier Cœurs brûlés (première incursion américaine du duo Josef Von Sternberg / Marlene Dietrich), Sérénade à trois de Lubitsch, dans lequel Coop échoit d’un rôle prévu pour Cary Grant et « apprend l’art du double take, tout droit sorti du burlesque » ou Les Trois lanciers du Bengale, parangon du cinéma de légionnaire aux valeurs paternalistes.

Viendra ensuite le temps des honneurs et de la reconnaissance officielle : il décroche son premier Oscar pour Sergent York, biopic de l’un des guerriers étasuniens les plus récompensés lors de la Première Guerre mondiale. C’est Alvin York, le vrai, qui convaincra Gary de jouer son rôle, alors qu'il était initialement réticent à jouer un homme déjà de chair et d'os. Dans ce film d’Howard Hawks ou dans ceux de Frank Capra (L’extravagant Mr. Deeds, L’homme de la rue), Cooper y devient « le visage de l’Amérique », celui en qui la nation voit personnifiées ses plus nobles valeurs ; ses rôles sont surtout ceux « d’Américains moyens, candides, sains et idéalistes », assez proches du « vrai gentil » que l’acteur est dans la vie.

Jusqu’en 1953, date à laquelle il glanera sa deuxième statuette – pour Le train sifflera trois fois, donc –, les vaches se font plus maigres. A quelques exceptions près et surtout d’un film qui détonne dans la carrière pavée de types exemplaires : Le Rebelle, « œuvre d’abord incomprise puis devenue culte » dans lequel Cooper interprète Howard Roark, architecte visionnaire, individualiste et idéaliste jusqu'à l'intransigeance ; un être né de la plume de l'auteure Ayn Rand, théoricienne du chatoyant « égoïsme rationnel ». Le temps s'est envolé : dans les derniers westerns marquants de Cooper (Vera Cruz, L’homme de l’ouest), les cow-boys ne sont plus de doux rêveurs, mais des types de plus en plus désabusés, marqués dans leur chair par des décennies de combats. Dans l’oublié 10, rue Frederick, sorti trois ans avant son décès, il y devient « le spectateur mélancolique d’une Amérique qui vacille. »

C’est la tête la première qu’on (re)plonge grâce à Christophe Leclerc dans l’œuvre, décidément vaste, pas si monolithique, de Gary Cooper. Et dans sa vie, aussi : quand il ne tournait pas, l’acteur peignait des paysages sur des larges toiles, collectionnait Gauguin et Renoir, partait à la chasse avec son ami Ernest Hemingway. En somme, si « personne n’est parfait », ça n’a jamais empêché Gary Cooper d’essayer.

Gary Cooper Personne n'est parfait, Christophe Leclerc, 2024. Editions Capricci, 120 pages.

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