Saïd Belktibia, cinéaste : "Raconter une chasse aux sorcières moderne, sous un prisme inédit"

 


Roqya suit les péripéties de Nour, femme élevant seul son fils et pratiquant un occultisme désormais ubérisé. Saïd Belktibia, réalisateur du film, pose les questions qui fâchent : toute femme (trop) indépendante est-elle foncièrement une sorcière ? Superstition et religion, même combat ? Les réseaux sociaux ont-ils remplacé les croyances religieuses ? Forcément intrigués, on a, nous aussi, invité le réalisateur à nous donner quelques pistes...

Si les sujets de la religion et de la sorcellerie sont souvent abordés au cinéma, ils le sont assez peu sous l'angle de la croyance en elle-même. C'est ce que l'on retrouve dans Roqya : l'importance pour chacun d'entre nous de croire en quelque chose. 

Ce qu’il m’intéressait de montrer, le propos de mon film, c’est ce que font les religions sur les gens. De montrer comment on en arrive à croire en quelque chose – parfois se raccrocher à quelque chose –, une idée, un sentiment.

Le film montre également comment les réseaux sociaux ont pu remplacer la religion, comme possible vecteur d’émancipation mais aussi de radicalisation.

Tout à fait. Nous sommes aujourd’hui dans une ère où l’on ne pourra ou voudra plus faire cet exercice mental de réflexion, d’apprendre et comprendre. On est aujourd’hui dans une logique d’instantanéité, on ira chercher sur son téléphone des réponses qui ne sont pas forcément les bonnes. On se referme sur soi et on est dans une compréhension erronée ou décalée de la réalité.

Des images d'archive réelles apparaissent dans le film. On imagine qu’elles découlent aussi des recherches que vous avez effectuées pour le film ?

Bien sûr ! Tout ce que vous voyez dans le film est extrêmement référencé, tout a été vécu, par moi ou d’autres. L’ésotérisme dans les pays du Maghreb, chez les Musulmans, c’est un sujet que je connais bien. J’ai beaucoup lu sur ce sujet, les essais de Mona Chollet par exemple, mais ce sont également des choses dont j’ai été témoin.

Pour autant, le film n’est pas autobiographique, tout ce que j’avais recueilli était le point de départ pour raconter une chasse aux sorcières moderne, sous un prisme inédit – celui de l’ésotérisme en banlieue. Ce qui est, de notre point de vue occidental, une pathologie sera vu comme une possession d’un point de vue oriental. C’était de confronter ces points de vue qui m’intéressait.

Comment s'est fait le choix des interprètes ? 

Leur choix venait aussi de cet humanisme que je voulais revendiquer avec Roqya. C’est un film assez revendicatif, et j’avais besoin d’acteurs et d’actrices qui avaient eux aussi cette foi, qui portaient ces combats pour rendre le film plus intense. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur Golshifteh Farahani et sur Jérémy Ferrari qui, au-delà d’être humoriste, s’engagent pour des causes qui me sont chères. Au-delà de leur talent, ce que sont les acteurs et ce qu’ils véhiculent était important pour moi.

Le film distille une atmosphère anxiogène, symbole du piège qui se referme sur l'héroïne. Quelles étaient vos influences en la matière ?

Je déteste aller au cinéma et que la mise en scène se contente d’un simple champ/contrechamp. J’ai quand même pour ambition de proposer une vraie mise en scène. J’ai baigné toute ma jeunesse dans le cinéma coréen, c’est ce qui m’a donné envie de faire du cinéma, j’ai été particulièrement marqué par le film J’ai rencontré le diable de Kim Jee-woon. En le voyant, je me suis dit : « C’est impossible qu’eux arrivent à faire des films comme ça et pas nous ! » Avec la lumière, le jeu des acteurs, et cette représentation de la violence qui n’est jamais vulgaire. C’est capital de voir un film qui nous transporte lorsqu’on va au cinéma.

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