The Fall Guy, casse-cou d'un soir
The Fall Guy repose sur une incongruité, une anomalie : Ryan Gosling y joue un type payé pour cacher son visage. Colt Seavers, c’est son nom, est cascadeur et son métier est donc de jouer les ombres, les doublures, les Poulidor s’effaçant derrière les têtes d’affiche – ici, la star de cinéma est jouée par Aaron Taylor-Johnson, garçon affable et charmant sans trop de chien. Il n’est d’ailleurs pas interdit de voir The Fall Guy comme un commentaire sur la trajectoire de Gosling lui-même : idole des jeunes né dans le ventre de la bête de la société du spectacle (Le Mickey Mouse Club) métamorphosé en acteur chevronné méfiant des sirènes du vedettariat avant de devenir l’acteur mainstream que l’on sait – et d’épouser Eva Mendes. L’an dernier, il devenait le Ken de Barbie, bellâtre à la beauté plate et anonyme, toile blanche idéale pour tous les fantasmes de surf et de décapotables. Ici, il est un chauffeur casse-cou décidément loquace – comme un double inversé et rigolard de son personnage de Drive. Après la satire, l’auto-parodie.
Cet aspect volontiers autoréflexif est certainement ce qu’il y a de plus intéressant dans le film, tant tout le reste semble avoir été fait par-dessus la jambe. La sincérité du réalisateur David Leitch n’est pourtant pas en cause, le bonhomme ayant lui-même officié comme cascadeur sur, excusez du peu, Fight Club ou la saga Matrix – Ryan Gosling ironisait d’ailleurs récemment sur le fait que ce coûteux et rugissant bolide n’était qu’une coup publicitaire pour qu’enfin les cascadeurs soient récompensés aux Oscars. Et c’est un plaisir sans cesse renouvelé de passer deux heures avec la très talentueuse Emily Blunt : même quand elle n’a presque rien à jouer, comme ici, elle semble s’en délecter, et sait infuser dans ses personnages une espièglerie façon néo-Katharine Hepburn.
Pourquoi on compte les minutes, alors ? La réponse réside peut-être dans ce mot qu’on n’aime pas bien dégainer mais qui nous saute aux yeux ici : la ringardise. Lointainement adapté d’une série des années 1980, diffusée chez nous sous le nom de L’homme qui tombe à pic, The Fall Guy semble vouloir arrêter le temps et nous faire croire que les 80s sont encore au coin de la rue – par nostalgie ou par paresse, on ne sait plus trop bien. Rappeler les interprètes de la série d’origine pour un caméo inutile ? The Fall Guy ose. Parsemer le récit de clins d’œil à Miami Vice et L’homme qui valait trois milliards ? The Fall Guy signe. Aller piocher dans le hit-parade de l’époque (Kiss, AC/DC, Phil Collins) comme si la bande FM n'avait rien diffusé depuis ? The Fall Guy persiste. A bien y réfléchir d’ailleurs, presque toute la filmographie de David Leitch semble être habitée par le fantôme de cette époque-là : Hobbs & Shaw parachutait un duo mal assorti façon Tango & Cash dans l’univers de Fast & Furious, alors que Bullet Train lorgnait du côté des films d’actions high concept du type Runaway Train ou Speed...
Alors, certes, The Fall Guy n’est ni le premier, ni le dernier, ni même le pire avatar de ce véritable sous-genre hollywoodien, pépère et lucratif, qu’est l’adaptation de séries télé vaguement cultes. En le voyant, néanmoins, on se dit que les succès d’hier feraient parfois mieux de rester précisément cela : des madeleines de Proust doucereuses, auxquelles on repense parfois, sans parvenir à les oublier totalement mais sans que leur goût nous manque trop non plus.
The Fall Guy, David Leitch, 2024. Avec : Ryan Gosling, Emily Blunt, Aaron Taylor-Johnson, Hannah Waddingham, Winston Duke.