Almamula, le bois dont les rêves sont faits
Né en Amérique du Sud, devenu un genre incontournable de la littérature locale, le réalisme magique fait aussi, parfois, des étincelles au cinéma. En 2017, le réussi El Presidente – porté par l’incontournable Ricardo Darín – commençait comme un thriller politique somme toute classique avant de faire une embardée sur des terres plus mystiques. Almamula, premier long-métrage de l’Argentin Juan Sebastián Torales, ne procède pas autrement.
De prime abord, on croit cerner les contours du film : Nino, quatorze ans, ado malingre et mal dans sa peau, en pleine exploration de sa sexualité, est victime des brimades de ses camarades de classe. « Faut pas décoiffer la princesse ! » est parmi ce qu’il entend de plus aimable (on vous épargnera ce qu’il entend de moins aimable). Almamula pourrait donc n’être que cela : un réquisitoire sans concession sur la bigoterie et les dérives de l’éducation religieuse – on pense par exemple à La mauvaise éducation d’Almodóvar. Un plaidoyer précieux, particulièrement à l’heure où Javier Milei, nouveau et très conservateur président de l’Argentine, entend faire marche arrière sur toutes les avancées récentes gagnées, de haute lutte, par les milieux féministes et LGBT.
Et puis, en changeant de décor, en quittant son village pour l’orée du bois, Almamula se mue en fable ; les superstitions de la religion laissent place à celle des grands anciens. On dit qu’un esprit malfaisant, l’Almamula donc, rôde pour emmener avec lui tous les garnements ayant commis des actes sexuels supposément répréhensibles... Et le film de s’enfoncer, pas après pas, dans cette forêt des rêves. Almamula est un film hypnotique, et même onirique – au sens plein du terme, dont on sort la raison troublée mais les sens stimulés. Pour peu que l’on apprécie les films qui nous laissent avec plus de questions que de réponses, on saura apprécier les charmes de cette décoction à la saveur unique.
Almamula, Juan Sebastián Torales, 2023. Avec : Nicolàs Diaz, Martina Grimaldi, Maria Soldi, Cali Coronel, Luisa Lucia Paz, Tania Darchuk.