Sonic 3, ça pique !

 


Depuis quatre ans et trois films, la saga Sonic poursuit son petit bonhomme de chemin avec une formule largement rodée et un retour sur investissement maximal. Inspirés de la vaste franchise vidéoludique, les longs-métrages dévoilent un programme tout à fait régressif : transporté dans le monde réel – trope tellement éculé qu’il a un nom dans la littérature manga : « isekai inversé » –, le bleu hérisson apprend la vie (des leçons aussi incontournables que « Ecoute ton cœur et tu prendras les bonnes décisions »), balance calembours et kakemphatons, ou fait copain-copain avec des acteurs de chair et d’os qui jouent aussi bien que l’on peut jouer lorsqu’on doit donner la réplique à une balle de tennis sur fond vert. (C’est-à-dire assez mal.) Même paresse du côté des scènes d’action : pour une chouette poursuite en moto dans les rues suréclairées de Tokyo (on songe à Akira), il faut subir une énième séquence, vue et revue, de destruction du centre-ville londonien.

Comme ses prédécesseurs, ce troisième Sonic poursuit surtout son aventure d’exploration patrimonialo-vidéoludique : après le placide Tails et l’échidné mal léché Knuckles, et en attendant une certaine Amy Rose (merci Wikipédia), voici donc Shadow – personnage dont la voix est celle de Keanu Reeves, et introduit d’une façon qui filerait des complexes à Basil Exposition. Un nouveau venu qui est, et d’assez loin, ce que ce troisième volet réussit le mieux : sombre, tourmenté, Shadow s’avère in fine plutôt et réveille opportunément le film de sa torpeur. Même le ton monocorde, caractéristique de Reeves, sert le personnage. Le noir John Wick n’est pas très loin… Aussi réussi fût-il, le traitement du personnage met hélas en relief ce qui grève Sonic 3 : cette tenace impression d’un bouillon de culture, d’un film qui ne sait plus sur quelle patte danser. Face à Shadow, le hérisson bleu éponyme tire le film vers un programme neuneu et référencé façon Deadpool, tandis que Jim Carrey s’amuse comme un fou à camper un duo de savants fous à la Jerry Lewis – sans qu’on n’ait jamais vraiment l’impression que tout ce petit monde évolue dans le même film.

Tout cela est-il trop demander à un film nommé Sonic 3, qui sera sans aucun doute suivi d’un 4 ? Peut-être bien, d’autant que le côté premier degré de l’ensemble, qu’on imagine sincèrement enamouré du matériau originel, est même assez rafraîchissant comparé à certains grosses machines bien plus cyniques. A deux décennies près, Sonic 3 aurait même été comme un poisson dans l’eau au milieu des blockbusters boursouflés et bon enfant des années 90, quelque part entre Wild Wild West et Space Jam. Même la performance de Jim Carrey, dans un registre pré-The Truman Show, pré-Michel Gondry, accrédite cet étrange retour en arrière, qui semble contenter tout le monde ; les critiques déclarent unanimement qu’il s’agit là du « meilleur film de la saga » (ce qu’il est sans aucun doute, mais ça ne veut pas dire grand-chose…), les gamers sont ravis de voir leurs personnages préférés prendre vie sur grand écran, et le studio Paramount est ravi de pouvoir terminer l’année en beauté après un box-office 2024 encore assez cahoteux. Alors, pour ne pas passer par le critique rabat-joie de service, on donne mollement son satisfecit et on attribue les deux étoiles réglementaires, tout en rêvant secrètement à des jours (et des films) meilleurs.

Sonic 3, le film (Sonic the Hedgehog 3), Jeff Fowler, 2024. Avec : James Marsden, Jim Carrey, Tika Sumpter et les voix de Ben Schwartz, Idris Elba, Keanu Reeves.

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