Wolfs : Brad et George comme darons en foire

 


Depuis quelques années, une question revient à propos du cinéma américain : Hollywood, inféodé depuis deux décennies aux blockbusters de supermecs en collants extensibles, est-il encore capable de créer des stars, des vraies, pas uniquement des hommes-sandwiches interchangeables ? Volontairement ou pas, Wolfs apporte sa contribution au débat, tant il s’agit d’un film qui ne tient que par le charme de ses acteurs, deux des dernières vedettes hollywoodiennes « à l’ancienne ». Et donne in fine une réponse digne d’un centriste scandinave, en forme de oui et… non.

Oui, parce que Brad et George en ont encore largement sous la pédale et que leur alchimie, forte de leur amitié bien réelle et de la palanquée de longs-métrages qu’ils ont tournés ensemble (la trilogie Ocean’s en tête) fait toujours de sacrées étincelles. Brad et George se toisent, roulent des mécaniques et jouent à cap' ou pas cap' lorsqu’on demande aux deux « nettoyeurs » – façon Victor dans Nikita ou Winston Wolf dans Pulp Fiction – qu’ils sont de disposer d’un cadavre qui s’avérera rapidement moins mort que prévu. Tout ça n’est pas bien subtil mais à le mérite d’insuffler un peu de vie à Wolfs – dont le scénario atone singe sans trop se fouler After Hours et Collatéral, sans la folie échevelée du premier ou l'implacable froideur du second. Côté mise en scène, Jon Watts, cinéaste issu du giron indépendant coopté par Marvel pour mettre en scène ses Spider-Man, emballe tout ça sans patte visuelle réelle, se bornant à filmer New York comme le paradis des hipsters et des costards-cravates qu’elle est devenue – sans sortir du tout-venant de ce que la plateforme Apple+, ici aux finances, diffuse habituellement.

A bien y regarder, cela dit, ces deux loups-là pourraient bien être plus mélancoliques qu’il n’y paraît. Ce n’est pas tant que, dans cette Grosse pomme incroyablement clean, Brad et George se réjouissent de compter l’un sur l’autre – c’est plutôt qu’ils ne peuvent que compter l’un sur l’autre. « Just the two of them » pour paraphraser le tube de Grover Washington, Jr. qui sert de générique de fin. Car eux deux mis à part, pas grand-monde ne viendra à leur secours, comme en atteste les trois personnages féminins qui les entourent : la première disparaît sitôt le sale boulot confié, la seconde ne leur parle que par téléphone interposé, tandis que la troisième met un point d’honneur à expliciter qu’elle n’a couché avec aucun des deux ! Il n’y a pas foule, non plus, à qui passer le flambeau : le « gamin » innommé du film (le faux mort précité) n’a que deux neurones et semble bien peu sensible aux doutes et aux douleurs lombaires qui assaillissent nos vieux briscards.

On en revient alors à notre questionnement initial : le public netflixisé, marvelisé, de 2025 en aura-t-il encore quelque chose à faire des (més)aventures de deux quidams campés par des acteurs beaux comme des dieux mais qui n’ont ni la force d’un Superman ni la droiture morale d’un Captain America ? Rien n’est moins sûr : à la sortie de Wolfs en septembre dernier, Apple, pas étouffé par la modestie, avait déclaré que le film avait réalisé les « meilleurs chiffres de visionnage de son histoire », sans publier évidemment aucune donnée permettant de corroborer cette affirmation. Pire encore : courroucé que la firme à la pomme refuse de distribuer le long-métrage en salle, Jon Watts a tué dans l’œuf l’idée d’une séquelle initialement prévue. Morale de l’histoire : face aux tentaculaires GAFAM, même le charme et la faconde de Brad et George sont bien peu de choses.

Wolfs, Jon Watts, 2024. Avec : George Clooney, Brad Pitt, Austin Abrams, Amy Ryan, Poorna Jagannathan.

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