The Smashing Machine, c'est la lutte finaude
Au cours de la saison des récompenses et autres awards, qui a lieu chaque année de novembre à février, il n’est pas rare de voir sortir du bois des acteurs et actrices enfiler les gants de boxe pour accroître leurs chances de décrocher une statuette – et idéalement un sacro-saint Oscar. De Robert De Niro à Hilary Swank, l’Académie a en effet su reconnaître et récompenser ces « performances » d’interprètes qui ont sué sang et eau pour la beauté de leur art. De fait, le film de boxe – ou ici de lutte – est une petite entreprise qui ne connaît pas la crise : rien qu’au cours de cette année 2025, Sydney Sweeney (Christy), Orlando Bloom (The Cut) et, donc, Dwayne Johnson dans cette Smashing Machine sont montés sur le ring pour montrer toute l’étendue de leur talent.
Terrain passablement miné, donc, pavé de clichés difficilement évitables et de figures encombrantes, que le film perpétue avec un talent certain, à défaut de les renouveler vraiment. Comme cette idée du héros des cordes qui redevient un type médiocre et banalement vulnérable dès qu’il descend du ring, qui était peut-être novatrice à l’époque de Marqué par la haine (1956), mais déjà plus à celle de Raging Bull (1980), rise and fall scorsesien qui constitue encore le modèle absolu de ce genre d’œuvres. Et sent hélas encore moins le neuf aujourd’hui.
Balèze majesté
Que reste-t-il alors à The Smashing Machine pour défendre son coin du ring ? Le plus important peut-être, ou en tout cas le plus appréciable : deux interprètes, Dwayne Johnson et Emily Blunt, qui ont bouffé du lion. L’air hagard, les yeux dans le vide, le cheveu hirsute, Johnson ne rappelle pas tant le vrai Mark Kerr (le lutteur qu’il interprète) qu’une version de lui-même qui aurait mal tourné et n’aurait jamais connu la gloire hollywoodienne. Surtout, il se débarrasse enfin de ce second degré, de cette ironie héritée de ses années de catcheur, qui nimbait chacun de ses rôles précédents. En sortant de sa zone de confort et en endossant un rôle qui lui ressemble à s’y méprendre, l’ex-The Rock montre des talents d’acteur qu’on ne lui connaissait pas. Remarquable est l’idée d’avoir associé l’acteur avec Emily Blunt (impressionnante comme souvent) ; les deux s’étaient déjà donné la réplique dans Jungle Cruise, blockbuster sans aspérités rehaussé par leurs joutes verbales aux airs de screwball comedy. Ici, c’est tout l’inverse : leur alchimie est toujours aussi palpable mais ne débouche que sur des malentendus, des disputes, des incompréhensions qui n’ont plus rien d’amusant.
L'autre grande idée tient à la mise en scène : Benny Safdie filme Mark Kerr comme un géant gêné, que sa carrure encombre plus qu’elle ne le sert. Qu’il soit dans la salle d’attente de son médecin, dans l’avion ou dans un manège pour enfants (!), Kerr semble perpétuellement engoncé, trop grand et trop balèze pour ce monde peuplé de gens lambda auquel il tente de s’adapter cahin-caha. Une dimension anti-spectaculaire que l’on retrouve jusque dans les scènes de combat – qui ne durent jamais très longtemps et au cours desquelles chaque coup donné fait mal là où il frappe. The Smashing Machine, c’est in fine l’anti-Creed : la baston n’y est plus un moyen de s’élever socialement, de franchir à la force de ses poings chaque échelon glissant de l’échelle sociale, mais uniquement un moyen particulièrement efficace de se faire du mal, de succomber plus rapidement à ses démons, de finir KO face au plus vicieux des adversaires : soi-même.
The Smashing Machine, Benny Safdie, 2025. Avec : Dwayne Johnson, Emily Blunt, Bas Rutten, Ryan Bader, Oleksandr Usyk.
