Roofman, sans toit ni loi
Bellâtre sous-employé cherche (et trouve) pygmalion en quête de chair fraîche. Depuis la retraite – de courte durée – de Steven Soderbergh, on avait un peu perdu l’espoir de voir revenir Channing Tatum aux vrais rôles charnus comme ceux que le petit génie derrière Sexe, mensonges et vidéo avait su lui confier. (Il paraîtrait qu’un troisième et dernier Magic Mike est sorti en 2023 mais, par respect pour les deux hommes, on préfère ignorer cette rumeur.) Excellente surprise, donc, de voir Tatum s'associer avec Derek Cianfrance, talentueux cinéaste au style néo-classique qui s’est fait une spécialité de montrer la part d’ombre des beaux gosses (Ryan Gosling, Michael Fassbender, Mark Ruffalo) au cinéma comme à la télévision.
L'histoire (vraie) qui voit Cianfrance et Tatum collaborer est de ces tranches de vie américaines qui ne semblent avoir eu lieu que pour être adaptées au cinéma : pour subvenir aux besoins de son foyer, un quidam, Jeffrey Manchester, décide de braquer tous les restaurants McDonald’s qui lui tombent sous la main, en passant à chaque fois par le toit – façon d’entrer par effraction toute personnelle qui lui vaudra logiquement le surnom de « Roofman ». Décidément inarrêtable, il s’évade de prison (d’une façon qui rappelle étrangement Logan Lucky, la meilleure des collaborations entre Tatum et Soderbergh) et finit par vivre… dans un magasin Toys "R" Us. Armé d’un argument aussi rocambolesque, Roofman aurait pu plonger la tête la première dans la grosse pochade ou dans une odyssée comico-criminelle à la Coen. Derek Cianfrance ne fait in fine ni l’un ni l’autre et préfère creuser un sillon tout personnel.
Braqueur gros comme ça
A priori pas bien futé, son Manchester sait faire preuve quand les circonstances l’exigent d’une intelligence toute personnelle ; doté d’un physique flatteur qui lui garantit un succès certain avec la gent féminine, c’est aussi un personnage mélancolique, qui ne rêve que de la seule chose qu’on lui refuse : rentrer chez lui… De fait, la façon dont Cianfrance raconte son protagoniste est à la fois plus originale et plus banale que celles que l’on croise dans ce genre de récits. On retrouve cette même idée de léger décalage dans la façon dont le cinéaste filme l’Amérique des malls et des parkings sans fin ; l’époque du film (qui débute en 1998) n’est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre que la nôtre, et les enseignes disparues ou quasi (Toys "R" Us, Blockbuster Video) peuplant les ZAC désertes dégagent un parfum étonnamment élégiaque.
Si Channing Tatum excelle dans un rôle taillé sur mesure pour lui et qui évoque ceux que Paul Newman et Robert Redford tenaient dans les années 1970 (on songe à Luke la main froide), il a aussi la chance d’être bien entouré. On sait l’importance que Derek Cianfrance accorde aux seconds rôles, et, cette fois encore, il ne leur fait pas faux bond – entre figures récurrentes de son cinéma (dont Emory Cohen) et interprètes fiables pris à contre-emploi (Peter Dinklage en petit chef sadique, Ben Mendelsohn en pasteur à la cool…) – sans oublier Kirsten Dunst qui, à l’instar de Tatum, confirme qu’elle est entrée de plain-pied dans une brillante seconde partie de carrière. Roofman, ou le récit délicieusement immoral d’un voleur sentimental qui remet au goût du jour cette vieille antienne brechtienne voulant qu’il y ait « plus immoral que de braquer une banque : en fonder une. »
Roofman, Derek Cianfrance, 2025. Avec : Channing Tatum, Kirsten Dunst, Peter Dinklage, LaKeith Stanfield, Ben Mendelsohn.
