Teresa, dogmatique toc

 


Pas encore nobélisée, encore moins béatifiée : la Teresa que l’on découvre dans le film éponyme est une religieuse lambda qui attend avec impatience l’autorisation du Saint-Siège vaticanais d’établir sa propre communauté dans les bas-fonds de Calcutta. Nous conter les vertes années d’une icône avant que celle-ci soit statufiée, voilà qui commence à paraître familier. De fait, Teresa reprend sans trop se fouler les codes des « origin stories » qui pullulent sur le grand écran – qu’il s’agisse des idoles des jeunes (Bruce Springsteen étant le dernier exemple) ou des grandes figures de la pop culture, du Magicien d'Oz au lion Mufasa. Par maints aspects, Teresa se rapproche même des films de super-héros, en mythifiant son héroïne à grands renforts de symboles sur-signifiants, depuis son fameux uniforme blanc et bleu jusqu’à son code d’honneur intransigeant (voire « fanatique et fondamentaliste » selon ses détracteurs), alors en gestation en cette fin de décennie 1940.

Tout entier consacré à la construction de son piédestal, Teresa ne parvient guère à exister autrement. En tout cas pas grâce à son intrigue, simple note de bas de page – fictive, faut-il le préciser – d’une existence pourtant longue et ample. Cette histoire d’une grossesse cornélienne qui touche une nonne de son couvent et, par ricochet, Mère Teresa elle-même (faut-il forcer la jeune fille à avorter, et doit-on la répudier ensuite ?), on n’y croit guère. Et pour cause : les positions de la future sainte sur l’avortement sont connues de longue date, et c’est peu dire qu'elle n’y était pas favorable. Morceau choisi : dans son discours d’acceptation du prix Nobel de la paix, elle déclare que « le plus grand destructeur de la paix aujourd'hui est l'avortement, car il s'agit d'une guerre directe, d'un meurtre direct – un meurtre direct commis par la mère elle-même. » De la part de quelqu’un qui a fréquenté les populations parmi les plus indigentes de la Terre et avait sans nul doute été exposé à la « guerre directe », la vraie, celle « destructrice de la paix », c’est quand même fort d’eau bénite.

De fait, malgré des efforts ostensibles de renouveler l’imagerie calotine habituelle (les guitares enfiévrées font tonner le rock hard, tandis que quelques scènes ensanglantées évoquent le giallo), Teresa demeure in fine un film idolâtre. Comme dans Conclave l’an passé, il suffit d’une personne touchée par la grâce – ici, un pape décidément pas comme les autres, là une mère supérieure d’un genre unique – pour absoudre à bon compte des ecclésiastiques par pleines poignées et une institution qui ne tourne plus très rond. Les clercs pas bien clairs avaient pourtant largement de quoi se faire pardonner, qu’il s’agisse de la place (subatomique) laissée aux femmes dans l’Eglise ou à la pensée d’un autre temps de cette frange qui n’a toujours pas digéré les relatives ouvertures du concile Vatican II… Détail qui en dit long : dans une scène du film, on découvre une Teresa pétrie de doute, se demandant si sa foi est réellement en mesure de lui apporter les réponses à toutes ses questions. Remise en question de courte durée : il ne s’agit en fait que d’une scène de rêve. Sans tarder, l’hagiographie peut ainsi reprendre ses droits et la pauvre Noomi Rapace porter son rôle comme un Nazaréen portait naguère sa croix.

Teresa (Мајка), Teona Strugar Mitevska, 2025. Avec : Noomi Rapace, Sylvia Hoeks, Nikola Ristanovski, Ekin Corapci, Marijke Pinoy. 

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards