Star Wars : Rogue One, sampleur et sans reproches


Avec Rogue One, dernier volet en date de la saga Star Wars, Disney amorce ce qui est une nouvelle étape dans sa reconquête du box-office par le space opera. Sitôt Lucasfilm racheté, on avait appris la mise en chantier d’une nouvelle trilogie, composée des épisodes 7, 8 et 9. Quoi de plus logique, après tout ? Mais Disney, peu prompte à laisser couver trop longtemps une poule connue pour ses œufs d’or, annonce également, pas un mais trois spin-offs, centrés sur divers personnages ou événements gravitant autour de la planète canonique Star Wars. Le but affiché, c’est recréer le coup de poker de l'univers étendu – sur lequel on avait pu revenir moult fois dans ces colonnes – qui a si bien marché avec les Avengers.
  
Rogue One, dès le début, s’affirme comme le triomphe du multivers en tant que concept même. A ce qui n’était à la base qu’une phrase* servant d’introduction et d’élément déclencheur à Un Nouvel Espoir, on dédie un film entier : raconter, donc, comment furent dérobés les plans de l’Etoile de la Mort, qui sera détruite dans cet épisode 4. C’est donc le cœur lourd, presque résigné, que l’on se dirige vers ce opus, persuadé d’être encore en présence d’un premier volet qui ne sera qu’un incipit brouillon à une trilogie inutilement étirée. Jolie surprise : le film vient balayer assez rapidement ce procès d’intention pour s’imposer comme l’épisode de Star Wars le plus convaincant – et le plus animé – depuis, disons, un bon bout de temps. Dès le début, il apparaît clairement en effet que ce volet-là ne cherche pas à singer la trilogie originale (ce que faisait l’épisode 7, Le Réveil de la Force, avec un talent de copiste inné, d’ailleurs) mais à piocher des références ailleurs, pour en faire un Star Wars novateur et même – ce qui n’est pas toujours évident chez Disney – du cinéma avec des idées.


Film de guerre assumé, Rogue One déroule assez un chapelet de références qui le rapprochent plus volontiers des grands films sur le Vietnam (Platoon, Full Metal Jacket, Apocalypse Now) ou la seconde Guerre Mondiale que de ce qu’on a vu dans la saga jusqu'ici, et les décors diurnes et tropicaux, l’aspect plus crasseux, réaliste, des scènes de bataille achèvent d’y apporter du sang neuf. Certaines âmes chagrines se plaindront de voir de telles références convoquées et « exploitées » sans être approfondies, sans que le film cherche à voir au-delà. Le reproche tient debout, mais ce serait oublier que, depuis ses débuts, la saga se nourrit (parfois plus que de raison) d’influences diverses et variées.
 
Dans sa critique du Réveil de la Force, très justement intitulée « Comment Star Wars est passé d’une saga shakespearienne à Harry Potter dans l’espace », le journaliste Stephen Dalton rappelait les innombrables œuvres qui irriguèrent Star Wars jusqu’en son noyau : « Flash Gordon, […] La Forteresse cachée de Kurosawa, La Prisonnière du Désert de John Ford, Le Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl, Metropolis de Fritz Lang – plus Casablanca, Le Magicien d’Oz, Les Briseurs de barrages, […] Jean-Luc Godard et Sergio Leone, les romans Dune de Frank Herbert, les écrits hallucinés du chouchou des hippies Carlos Castaneda et Le Héros aux Mille et Un Visages de Joseph Campbell. » Dalton vient également rappeler (à juste titre) que, si Tarantino a entériné une bonne fois pour toutes l’idée du blockbuster postmoderne, l’idée vient avant tout de George Lucas. Comme JJ Abrams, Gareth Edwards (Godzilla) n’est pas Lucas mais s’échine toutefois à entonner une autre rengaine que le « c’était mieux avant » et à proposer, lui, un résultat final dont la qualité n’est pas inversement proportionnelle à son attente démesurée – ce qui était le cas de La Menace Fantôme et du Réveil de la Force.


Évidemment, tout n’est pas si rose chez Disney : la sacro-sainte famille et ses inébranlables valeurs justifient tout au sein du récit, les dialogues sont souvent trop démonstratifs (notamment tout ceux qui s’échinent à vouloir nous justifier l’engagement des personnages dans la cause rebelle alors que l’intrigue se suffit à elle-même), et la volonté de ramener plus que maladroitement à la vie des personnages iconiques par une avalanche de CGI (alors que les recaster est inévitable et, même, souhaitable) semble annonciatrice d’un virage inquiétant en matière de traitement des effets visuels à Hollywood. Pour autant, sa capacité à éviter les pièges les plus évidents du spectacle familial, comme celui de la romance à tout prix (ce que fait également très bien Vaiana, autre bon cru Disney de 2016), le distingue du tout venant des blockbusters récents. Mieux encore, son relatif unhappy-ending démontre de la capacité du studio de proposer des films se suffisant à eux-mêmes, plus resserrés et cohérents – qui leur permettent du même coup de faire à des talents plus pointus peu désireux de s’engager dans les affres d’une production épisodique – parvenant pour autant à apporter leur brique à l’édifice du multivers.
 
A l’heure où l’on écrit ces lignes se prépare ainsi activement le deuxième spin-off Star Wars du plan quinquennal de Disney, centré sur les années de jeunesse de Han Solo. Si le projet peut au début faire peur (dur de passer après Harrison Ford), les signaux envoyés par le studio semblent confirmer notre pressentiment concernant cette « chasse aux talents ». Alors que les fanboys (d’une mauvaise foi toujours exemplaire) réclament à tout prix un jeune sosie de Ford (nous, on aurait bien vu Miles Teller), Disney préfère miser sur un acteur (Alden Ehrenreich) peu connu mais déjà repéré pour ses rôles chez les frères Coen ou Warren Beatty. L’ambigu Lando Calrissian, lui, sera interprété par Donald Glover, « James Franco noir » et responsable de l’une des meilleures séries et de l’un des meilleurs albums de l’année 2016. Et le film sera réalisé par Phil Lord et Chris Miller, connu pour faire dans la comédie peu subtile (21 Jump Street) mais aussi et peut-être surtout pour La Grande Aventure Lego, très bel exemple d’idée de produit mercantile et parfaitement inutile débouchant sur un excellent film. Alors que Disney entre aujourd’hui dans l’Histoire en devenant le premier studio ever à passer le cap des 7 milliards de dollars (!!) au box-office en une année, on se dit que c’est toujours à ça que devrait servir les brouettes de billets gagné un peu trop facilement : prendre des risques.

Rogue One: A Star Wars Story, Gareth Edwards, 2016. Avec : Felicity Jones, Diego Luna, Mads Mikkelsen, Donnie Yen,  Ben Mendelsohn.

* « Des espions rebelles ont réussi à voler les plans secrets de l'arme ultime de l'Empire, l'Etoile de la mort, une station spatiale blindée avec assez d'énergie pour détruire une planète entière. »

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