Barry Seal - American Traffic : Les ailes du délire
« Osez me dire que ce n’est pas le plus beau pays du monde » répète Barry Seal comme pour se rassurer lui-même – un mantra qui sera également ses derniers mots. De fait, Seal avait tout ce que l’Amérique télévisée de Ronnie Reagan avait à offrir : une femme belle et blonde comme dans Dallas, des sapes pastel comme dans Miami Vice, des gamins « mignons tout plein » comme dans n’importe quelle sitcom Disney. Mais il y a, on s’en doute, un vide quelque part, un manque que même les montagnes d’argent sale peu durement gagnées ne sauront combler.
Cinéaste imprévisible, parfois
parfaitement anodin et transparent (Mr. Et Mrs. Smith, Jumper), parfois
un peu plus corrosif (La Mémoire dans la peau, Edge of Tomorrow), Doug Liman
s’attaque à la décennie « fric et toc » avec une certaine gourmandise –
quoique de façon assez classique, sur le fond comme sur la forme. Images d’archive,
retours en arrière, arrêts sur image, voix off : toute la panoplie du
biopic déglingué est déployée pour nous signifier qu’on a là affaire à une « histoire
vraie » qui atteint les cimes du rocambolesque. Dur de crier à la
nouveauté donc, alors que le film arrive après une salve de biographies mettant
en scène des personnages bradant les États-Unis juste pour le goût de l’argent
facile (Le Loup de Wall Street, War Dogs, Gold – pour ne citer que
les plus récents) et un paquet d’objets que l’on pourrait regrouper sous le
nom de « drugsploitation » (Narcos,
El Chapo, Reine du Sud, Infiltrator, Paradise Lost
et le prochain Loving Pablo).
Mais l’intérêt est ailleurs :
sous ses airs de ne pas y toucher, Liman (et son scénariste Gary
Spinelli) dévoilent une satire du capitalisme assez réjouissante. Dans Barry
Seal (le titre original, American Made, renforce plus encore
son aspect satirique), le capitalisme tardif et sa poursuite incessante
du profit posent problème quoiqu’il arrive : ne pas avoir d’argent en est un, et en avoir trop en devient un aussi. Certaines des meilleures
scènes du film sont celles où l’on voit Seal remplir des valises (qu’il va
jusqu’à enterrer dans son jardin !) et des placards entiers des billets
verts dans lequel il finit par étouffer. Preuve que la machine bien huilée
repose sur un équilibre fragile, et tient finalement de la bulle prête à
éclater, c’est un détail (dans lequel le diable est décidément bien connu pour
se cacher) qui fera tomber le château de cartes, un proche trop bavard ou trop
peu rompu aux mécanismes de l'économie de marché. Et dans cette entreprise de
liquidation des dernières valeurs états-uniennes, la politique n’est évidemment
pas en reste. Arrêté par une flopée de services (police, FBI, DEA), Seal sera
relâché sur ordre du sénateur Clinton afin d’être recruté par la
Maison-Blanche – preuve de la porosité d’intentions entre Républicains et
Démocrates. Que l'on deale des armes, de la drogue ou des informations, que l'on bosse pour les "gentils" ou les "méchants" n'importe que peu, car pour citer le président américain Calvin Coolidge : « le business de l’Amérique, c’est le business ».
Plaisir mineur, presque
régressif, mais notable, Barry Seal n’est probablement pas le
film qui inversera la courbe de déliquescence que connaît désormais Tom Cruise –
mais constitue évidemment un progrès par rapport aux abyssaux Jack
Reacher : Never Go Back et La Momie. L’un
des mérites du film est de nous rappeler que Cruise est avant tout un grand
acteur de composition (en témoigne l’accent sudiste traînant plutôt réussi qu’il
adopte ici), même si le programme de ses projets à venir (Mission : Impossible 6, Edge
of Tomorrow 2, Top Gun 2) s’avère diablement routinier. C’est d’ailleurs
au « Maverick », la tête brûlée du film de Tony Scott, dont Barry
Seal se rapproche le plus à l’échelle du canon cruisien. Sans doute y a-t-il
dans chaque pilote d’avion un Icare doté d’un hubris dévorant, ce fantasme
vieux comme le monde d’une humanité qui cherche inlassablement à s’élever au
niveau des dieux.
Barry Seal : American Traffic (American Made), Doug Liman, 2017. Avec : Tom Cruise, Sarah Wright, Domhnall Gleeson, Jayma Mays, Caleb Landry Jones.
Et pour liker, commenter, réagir, l'aventure se poursuit par ici : Sitcom à la Maison !
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