Top Gun : Maverick, les yeux dans les cieux

 

Dès les premières secondes, tout est en place. Les quelques notes de synthé d’Harold Faltermeyer, le texte écrit dans une police vintage présentant l’académie d’élite, le fameux Top Gun. Aucun doute possible : cette suite-là a les yeux dans le rétro des années 80. Pourtant, là où un paquet de suites/reboots/spin-offs (rayez la mention inutile) de franchises moribondes flattait bassement la partie la plus conservatrice de leur audience ou prenait carrément leur public pour des jambons, TGM marche, tel un équilibriste, sur le mince fil entre inévitable nostalgie et nécessaire sang neuf. Il n’y a rien de bien nouveau, et en même temps tout paraît neuf. Au niveau des interprètes, on oscille entre copains de boisson de Tom Cruise (Val « Iceman » Kilmer, Ed Harris, qui jouait dans La Firme) et jeunes troufions (Miles Teller, Glenn Powell…). Idem du côté de la bande son : d’un côté, le vétéran Faltermeyer et sa musique délicieusement datée ; de l’autre, Lady Gaga et son single taillé sur mesure pour faire crasher Spotify. Cette façon assez admirable de ménager la chèvre et le chou n’est finalement pas si étonnante venant de Cruise, lui qui a souvent su garder la colonne vertébrale de ce qui fait son cinéma, pour mieux le faire évoluer et le mettre à jour. Mission : Impossible, saga mutante et en mouvement perpétuel, est l’aboutissement de cela.

De la suite dans les idées

Pourtant, accoucher d’une suite satisfaisante au classique 80s n’était pas chose aisée. En premier lieu, le suicide de Tony Scott, réalisateur du film originel à qui TGM est dédié, en 2012, a un temps éteint toute velléité de faire redécoller le bolide. Deux jours avant la mort de Scott, lui et Cruise travaillaient encore sur le développement de cette suite. Autre mort dans la famille : celle de Don Simpson, coproducteur du premier volet, mais également de Flashdance ou du Flic de Beverly Hills, avec le très puissant Jerry Bruckheimer. A lui aussi un hommage est rendu, puisque son nom apparaît au générique de début, alors que Simpson est mort il y a plus de 25 ans. Comme Scott, Simpson fut un des principaux architectes du cinéma hollywoodien des années 80 tel qu’on s’en souvient aujourd’hui :  rapide, martial, décérébré, sommaire (toujours), irrésistible (souvent). (Si le cœur vous en dit, on vous conseille la lecture de la biographie de Don Simpson, mix jouissif entre Le Loup de Wall Street et Boulevard du crépuscule). Revenir à cette forme assez primale de divertissement dans un monde où Chris Nolan et Denis Villeneuve ont imposé le blockbuster d’auteur en nouvel horizon ultime, c’était au mieux succomber à un délire régressif, au pire risque d'être complètement has-been.

Autre épine dans le pied, et pas des moindres : le fonds de commerce idéologique du premier film. Car au-delà d’un divertissement de masse, Top Gun était évidemment un tapis rouge déroulé à l’US Army, qu'il l'a d’ailleurs elle-même reconnu. Un excellent exemple de ce que le soft power (= la plastique avantageuse de Tom Cruise) est capable de faire pour le hard (= convaincre le monde que l’armée américaine est la plus puissante au monde.) Sauf qu’entretemps est passée par là la guerre en Irak, nouveau bourbier digne du Vietnam, dont le cinéma américain s’est fait la chambre d’écho, avec des films comme Dans la vallée d’Elah, Démineurs, Green Zone ou des séries comme Generation Kill. Même un film comme Zero Dark Thirty, qu’on aurait pu craindre conçu comme un shoot’em up (il faut trucider Ben Laden !) se focalise moins sur l’exécution en elle-même que sur la traque, raide et laborieuse, qui l’a précédée.

A la recherche du temps perdu

Top Gun : Maverick parvient à jongler avec tout cela habilement, en gardant donc un pied dans l’hier, et un autre dans le maintenant, et même dans le demain. Car c’est évidemment ce qui est ici une réussite incontestable : dès que les types montent à bord des avions, filmés en vue embarquée, on vous met au défi de ne pas trépigner d’excitation et de bondir sur les gens assis devant vous. Gloire donc à Cruise d’avoir réussi là où Nolan et Villeneuve, justement, avaient partiellement échoué, et de s’être battu pour que TGM sorte en salles, quitte à repousser la date de sortie sine die. Plus encore qu’un Tenet, le film montre – si besoin était – ce que peut être l’expérience incomparable et fédératrice, tout sauf dépassée, de la salle de cinoche.

Une profession de foi qui fait se raccorder le fond et la forme puisque, le temps qui « fuit inexorablement » est finalement le thème sous-jacent du film. Le temps d’une belle scène, élégiaque et émouvante, on assiste aux retrouvailles d’Iceman et Maverick, ex-rivaux désormais amis, différemment entamés par le temps qui passe. Face à Cruise, l’acteur au physique marmoréen qui refuse de prendre de l’âge, Kilmer paraît diminué, épuisé par la vie, et seul un mince filet de paroles s’échappe de son corps. Presque privé de sa voix, il écrit ces quelques mots capitaux à Maverick : « Il faut lâcher prise. » Sans doute Iceman met-il là le doigt sur le nœud gordien de la psyché cruisienne, entre « ivresse de la vitesse » et nécessité de passer le manche à d’autres pilotes, plus jeunes et plus affamés ; entre temps qui nous glisse entre les doigts et volonté de courir vite, pour « le retenir, même le devancer » aurait dit Aznavour, au risque de s’époumoner.

Top Gun : Maverick, Joseph Kosinski, 2022. Avec : Tom Cruise, Jennifer Connelly, Miles Teller, Jon Hamm, Val Kilmer.

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