Dumbo : Bien dégagé derrière les oreilles


 
« Touche le fond mais creuse encore » - telle pourrait être la formule qui définit le mieux la carrière récente de Tim Burton. Mais on est volontairement un peu cruels ; en fait, ce Dumbo constitue un léger mieux par rapport aux oubliables Dark Shadows, Big Eyes et Miss Peregrine, et a fortiori l’abyssal Alice. Il subsiste néanmoins un fossé de la taille du Grand Canyon entre un film comme celui-ci et un Burton de la grande époque, et son dernier grand film, Big Fish, est sorti en… 2003. Un peu comme si, après avoir abordé avec son histoire de gros poisson la vie et la mort de façon la plus frontale, le Robert Smith des cinéastes avait remisé les mains d’argent pour se cantonner à des relectures balisées de marques préexistantes : films, séries, bouquins
 
Burton movie médiocre, Dumbo demeure pourtant un blockbuster passable, typique de ce qui se fait un peu partout aujourd’hui : derrière des effets spéciaux désormais tout-puissants subsiste un tout petit cœur qui continue de battre. Le scénario est téléphoné mais sait émouvoir quand il faut, comme en témoigne cette fin franchement touchante. En 2019, l’enjeu n’est plus de savoir si on va échapper à la fameuse morale lénifiante sur la famille nucléaire, mais à quelle sauce le plat nous sera servi.
 
Surtout, il y a au cœur de ce Dumbo une volonté de démythifier / démystifier ce qui fait l’essence même du spectacle populaire, qu’il s’agisse de l’art circassien ou cinématographique, qui plus est chez Disney. La métaphore est cristalline : curiosité de foire, freak comme Tim Burton les affectionne tant, Dumbo devient bientôt le rouage d’une plus grosse machine que lui ; une machine à fric. A ce titre, Vandemere, le personnage de Michael Keaton (ici en totale roue libre) est une caricature à peine voilée de Walt Disney, son ambition folle et ses vilains petits secrets d’initié – à une moustache près, le portrait craché était parfait. Et son parc d’attraction est une copie conforme du propre « Epcot Center » (lui-même adapté à l’écran, la boucle est bouclée) de Tonton Walt.
 
Malheureusement, en dépit de cette volonté manifeste de Burton de s’imposer en « contrebandier », pour reprendre la formule de Martin Scorsese pour décrire ces réalisateurs de l’Age d’or d’Hollywood qui parvenaient à introduire au sein de films de studio des messages subversifs, le cinéaste est bien vite rattrapé par les prérogatives et le cahier des charges d’un film Disney. N’est pas Verhoeven ou McTiernan qui veut, et défaire le classique animé Disney de ses éléments les plus enchanteurs (les chansons) ou les plus dérangeants (la fameuse séquence des éléphants roses, devenue ici un simple récital de bulles de savon) n’arrange rien. Plus que jamais, Burton semble schizophrène. D’un côté, il est ce sale gosse qui s’amuse à retrouver son appétit pour la destruction, celle du parc de Vandemere, derrière qui on retrouve brièvement un Beetlejuice grimaçant. De l’autre, il est devenu celui qui pratique un cinéma consensuel et ripoliné, poli jusqu’à l’indolore. En attendant, on l’espère, un goût de meilleur, on retourne dormir sur nos deux grandes oreilles.

Dumbo, Tim Burton, 2019. Avec : Colin Farrell, Eva Green, Michael Keaton, Danny DeVito, Alan Arkin.

Et pour liker, commenter, s'insurger, l'aventure se poursuit par ici : Sitcom à la Maison !

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards