Dunkerque, sur la plage abandonnée

  
Christopher Nolan représente un cas à part dans le cinéma contemporain. A l’heure où la plupart de ses collègues sont broyés par les impératifs des grands studios (voir les cas emblématiques de David Ayer sur Suicide Squad ou Phil Lord & Chris Miller sur le spin-off de Star Wars consacré à Han Solo), il parvient, tous les deux-trois ans, à arracher à la Warner de gros chèques pour réaliser des films sur lesquels il parvient à imposer sa marque et ses obsessions. Là où Paul Thomas Anderson où Darren Aronofsky évoluent encore dans des sphères relativement indépendantes et restent malgré tout assez ignorés du grand public, où même un Sam Mendes doit rejoindre une franchise déjà solide pour toucher le plus grand nombre, Nolan fait figure d’exception. Plus que quiconque, il règne sur ce que l’on pourrait appeler le « blockbuster auteurisant » et parvient à faire de chacun de ses films un événement.

Sa popularité auprès du grand public, des patrons de studio et de ses confrères cinéastes, Nolan la doit à une parfaite connaissance des attentes du public, de son public. Pas du genre à prendre celui-ci pour plus stupide qu’il n’est, Nolan sait que son audience veut être choquée, séduite, surprise, tout en ayant à faire à une forme visuelle aussi ambitieuse que le fond est consistant (Nolan n’est pas Michael Bay). Et parce qu’il connait les attentes du public, Nolan sait aussi que celui-ci aime aussi les belles histoires qui finissent bien, qui font rêver et mettent du baume au cœur – quitte à ce que cela vienne entamer la qualité finale de son film. Le pic d’un tel sentimentalisme est atteint dans le final d’Interstellar, film visuellement et techniquement irréprochable, mais émotionnellement creux, calculateur dans ses effets – dont le final sacchariné n’a rien à envier à celui du Contact de Zemeckis. L’amour triomphe de tout, vient nous dire Nolan – merci pour l’exclusivité.


Dunkerque, dernier film en date du cinéaste – basé sur un épisode de la Seconde Guerre Mondiale ayant eu lieu en 1940 – constitue l’antithèse parfaite à ses derniers films, et signe son meilleur depuis The Dark Knight. Abandonnés, le sentimentalisme cheap d’Interstellar, le trop-plein artificiel de The Dark Knight Rises, la mise en scène tapageuse d’Inception. Le dispositif narratif reste ambitieux (trois séquences de la bataille et trois unités de temps, lesquelles finissent par converger) mais ici, plus de fioritures, qui viennent parasiter l’histoire – et, in fine, la réussite – du film. Ce qui fait de Dunkerque une si grande réussite, c’est que Nolan se met tout entier au service de son film, au ras du sol et perd dans le processus certains de ses pires défauts.

Pourtant, en abordant une telle histoire, Nolan pouvait aisément tomber dans la redite et la citation. De Kubrick à Spielberg, on ne compte plus les grands cinéastes (et idoles du cinéaste) qui se sont aventurés sur le terrain du film de guerre, le second conflit mondial demeurant un cadre particulièrement populaire. Ce tropisme pour cette guerre-là en particulier doit être envisagé en des termes dramatiques. Un film, comme toute œuvre de fiction, repose sur des bases simples : une histoire, des protagonistes, des antagonistes. Au sein de ce sous-genre de film (les films sur la Seconde Guerre Mondiale), les protagonistes varient, mais l’antagoniste reste, à de rares exceptions, le même : la figure du nazi, cette abomination blonde à peine humaine. Bien souvent, ce choix repose sur une logique de spectaculaire à peu de frais ; pas besoin de mettre en scène des antagonistes trop développés, puisque, partout, toujours, cette figure est universellement haïe et tenue en parangon du mal.  Souvent, la mise en scène des exactions barbares commises par les nazis permet également de, pour le dire crûment, faire pleurer dans les chaumières. Nolan parvient à éviter ce double piège. Dans Dunkerque, à aucun moment une telle figure du nazi est-elle incarnée, ou même qualifiée comme telle, mais seulement comme « l’ennemi », qualificatif vague et assez peu cathartique. Plutôt que de mettre en scène l’émotion, Nolan privilégie l’action – sèche, directe, brute.

 
Pour aller un peu plus loin dans l’explication de l’attrait que représentent les films sur la Seconde Guerre Mondiale, on peut se référer aux notions de « passion » et de « raison ». Lorsqu’un film cherche, à travers la figure du nazi à choquer, faire pleurer ou émouvoir de façon générale, il le fait pour accélérer le processus d’identification aux protagonistes, et s’inscrit dans le registre des passions. Lorsqu’il délaisse une telle volonté d’identification immédiate et de sentiment pour ne retenir que les motivations des personnages, le moment où ceux-ci sont gouvernés par leur logique pure ou, à défaut, leur instinct, il s’inscrit dans le registre de la raison – c’est ce que fait Dunkerque, et c’est ce qui en fait un grand film.
          
Happy-end contrarié (voir le sort réservé au personnage de Tom Hardy), la fin de Dunkerque n’est pas sans rappeler celle des Huit Salopards de Tarantino, autre récit qui prend pour thème un conflit fondateur dans l’Histoire de son pays. Même ton rassurant, voire paternaliste, d’un chef de guerre indépassable (Lincoln/Churchill), même poudre aux yeux et illusions, finalement, quant aux conséquences d’un conflit qui perdureront bien longtemps après que les camps ennemis aient officiellement enterré la hache de guerre. Quand Tarantino annonçait avec la fin de son film 150 ans de relations raciales mortifères, Nolan clôt le sien avec une « boucherie héroïque » historique encore en suspens. Le pire, dit-on, n’est jamais certain ; parfois il est encore à venir.

Dunkerque (Dunkirk) Christopher Nolan, 2017. Avec : Fionn Whitehead, Harry Styles, Aneurin Barnard, Kenneth Branagh, Mark Rylance.

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards