Spectre : Le Bond ne suffit plus
Tout d’abord, bravo pour la scène pré-générique. Dans un plan-séquence virtuose, on sent que Sam Mendes (qui rempile ici après Skyfall) a potassé son Birdman et remet l’enjeu de cinéma au centre du débat. Le film embraye-t-il ensuite sur un tel démarrage ? Malheureusement, non et c’est le sentiment de gâchis qui l’emporte.
4 films. C’est ce qu’il aura fallu pour réinventer James
Bond, le moderniser, le rendre plus brut, moins unidimensionnel – plus
vendable, quoi. 4 films, c’est aussi, grosso modo, le temps maximum imparti à
chaque interprète de Bond avant que les choses ne commencent à se gâter et les
enjeux à tourner en rond. Pierce Brosnan a fait quatre Bond, Timothy Dalton n’en
a fait que deux, George Lazenby restera dans l’Histoire comme le type qui n’a
joué qu’une seule fois James Bond. Certains diront que Roger Moore était trop dandy ou trop vieux dès le premier, mais c’est bel et bien avec son quatrième,
Moonraker, que la saga atteindra des
sommets de nanardise. Quant à Sean Connery, ce n’est qu’à partir de son
cinquième que cela déraillera – mais lui, il n’avait pas à se mesurer à ceux
qui étaient passés avant, et il était Sean Connery. Les raisons qui expliqueraient
en profondeur cette « date de péremption » (ou
« obsolescence programmée », comme on dit aujourd'hui) donnée à
chaque version du personnage sont multiples.
Est-ce parce que le personnage doit avant tout son impressionnante longévité à sa capacité à s’adapter si bien aux modes et tendances, à ce qui caractérise son époque, aussi bien dans la réalité que dans la fiction ? Quand Connery enfile le costume, la Guerre froide bat son plein, et le spectateur se réjouit de voir, pour une fois, un représentant du bloc de l’Ouest capable de mettre une bonne raclée aux Russes. Les années Moore, elles, verront l’avènement de la Blaxploitation et de Star Wars – ce qui transparaît très clairement dans Vivre et laisser mourir et Moonraker. Depuis Goldeneye, premier Bond post-chute du bloc soviétique, le vilain est plus souvent un double négatif, un agent renégat définitivement passé de l’autre côté de la ligne pour de bon (souvent parce que les choses ne vont pas assez vite à ses yeux) ou un oligarque chantre de l’hyper-surveillance, plus proche d’un Rupert Murdoch que d’un savant fou.
Est-ce parce que le personnage doit avant tout son impressionnante longévité à sa capacité à s’adapter si bien aux modes et tendances, à ce qui caractérise son époque, aussi bien dans la réalité que dans la fiction ? Quand Connery enfile le costume, la Guerre froide bat son plein, et le spectateur se réjouit de voir, pour une fois, un représentant du bloc de l’Ouest capable de mettre une bonne raclée aux Russes. Les années Moore, elles, verront l’avènement de la Blaxploitation et de Star Wars – ce qui transparaît très clairement dans Vivre et laisser mourir et Moonraker. Depuis Goldeneye, premier Bond post-chute du bloc soviétique, le vilain est plus souvent un double négatif, un agent renégat définitivement passé de l’autre côté de la ligne pour de bon (souvent parce que les choses ne vont pas assez vite à ses yeux) ou un oligarque chantre de l’hyper-surveillance, plus proche d’un Rupert Murdoch que d’un savant fou.
Le « règne » de Daniel Craig dans le costume le
plus convoité du monde, n’échappe pas à cette règle des 4 films, comme cela
apparaît de façon assez flagrante dans Spectre.
Là encore, connaître les influences de cette salve de films est précieuse dans
leur compréhension : quand Casino Royale
sort en 2006, ce JB-là s’est fait voler sa couronne par deux autres espions aux
mêmes initiales, mais eux beaucoup plus au fait de la réalité du terrain en ce
monde post-11 septembre : Jason Bourne (La Mémoire/Mort/Vengeance dans la peau) et Jack Bauer (24 heures chrono). Les producteurs retiendront également les leçons
de leur comparse Christopher Nolan, instigateur de la tendance « sombre et
réaliste » recherchée par beaucoup de blockbusters – stylistiquement, Skyfall est d’ailleurs un film jumeau de
The Dark Knight Rises. Spectre, lui, essaye visiblement de
s’intégrer, un peu au chausse-pied, dans ce qu’il convient d’appeler un
multivers, un univers multiple. Instiguée par les films Marvel, la tendance est
aujourd'hui très lourde, à tel point qu’on annonce des sagas étendues basés sur
ce principe pour Fast & Furious
(sic) ou Harry Potter ! Mais, ici,
la sauce ne prend pas. Pourquoi diable s’embêter à vouloir nous cacher la
véritable identité de Blofeld (Némésis historique de Bond), quand elle n’influe
en rien dans la compréhension du personnage, et est si peu synonyme
d’enjeux ? Pourquoi le faire ressurgir du passé de Bond, alors que ledit
passé est si peu fouillé ? Ici, la saga est prise dans son propre piège de
vouloir se gonfler artificiellement et d’inventer des ramifications et des interstices
secrètes là où il n’y en a pas. Car Bond reste Bond : le type qui arrive, séduit
les femmes, donne leur correction aux méchants et rentre chez lui en
attendant qu’on le rappelle. Tout le reste n’est qu’invention, et le sentiment
de poudre aux yeux jetée pour mieux meubler n’est jamais totalement absent.
On sent dans Spectre
une volonté de concilier le meilleur des deux mondes (des deux Bonds,
même) : ce qui a été mis en place dans les films de Craig jusqu’ici
(l’action moins cartoonesque, le frein mis sur les gadgets…) et ce qui fait
l’ADN de la saga depuis toujours. Skyfall,
déjà, nous donnait un aperçu d’une espèce de retour à l’ordre établi, avec le M
que l’on connaît dans son bureau feutré, Moneypenny, Q. Spectre procède de la
même façon, jusque dans sa vision de Blofeld, ici devenu un mélange bâtard du
méchant grandiloquent que l’on connaît (même son chat blanc fait un caméo) et
un nouveau milliardaire à la Steve Jobs. Et puisque l’on est chez Bond, les
vêtements ont également une grande importance : le col roulé porté par
Craig sur l’affiche est le même que celui de Moore dans Vivre et laisser mourir, tandis que son costume noir et blanc est
le même que Connery dans Dr. No. Ce
n’est que symbolique bien sûr, mais ces références (un peu vaines, il faut bien
l’avouer) sont malgré tout assez parlantes et sur ce point, elles rejoignent
celles, innombrables, qui peuplaient Meurs
un autre jour, le quatrième et dernier Bond de Brosnan. Une fois encore, on
pourra s’en étonner, quand on sait que la direction prise par celui-ci fut rigoureusement évitée par Casino Royale. Est-ce parce
que cela fonctionne de manière cyclique, que si Bond cherche à s’éloigner de
son passé, il finit toujours par y revenir et y payer son tribut ? A moins
que ce ne soit parce que le paradigme sur lequel repose encore Bond appartient
en lui-même au passé ; cela fait des décennies que la Grande-Bretagne n’a
plus le rayonnement mondial qu’elle possédait du temps de son Empire et la Bentley dans laquelle il roule est désormais la propriété des Allemands de Volkswagen. Bond ne fait pas que courir après des chimères : il est lui-même une chimère.
L’avenir nous dira maintenant si la « règle des 4
films » tient debout, où si elle n’est qu’elle-même que pure illusion. Daniel
Craig, en tout cas, a déclaré dans une interview préférer « s’ouvrir les
veines » que de rempiler – au moins, cela a le mérite
d’être clair. En tout cas, qu’il pleuve ou qu’il neige, une chose reste
sûre : James Bond will return,
avec ou sans lui.
Spectre, Sam Mendes, 2015. Avec : Daniel Craig, Léa Seydoux, Christoph Waltz, Monica Bellucci, Ralph Fiennes.