Bohemian Rhapsody : Plus vite que la musique
Parfois a-t-on envie d’aller
droit au but. Parfois est-on tenté de scroller tout en bas la page d’un scribouillard d'Internet pour savoir avec quelle blague vaseuse il conclura son interminable article. Mais parfois, cela revient à brûler les étapes. C’est un peu la
volonté (et le problème, donc) de Bohemian Rhapsody, qui souhaite, en
2 h 15 (quand même), retracer la destinée de Freddie Mercury, plus belle moustache de l’Histoire, et tente à la fois de s'affranchir des passages les plus usités du genre et de satisfaire tout un chacun. Tout, tout, tout, vous saurez
tout, sur « Ready Freddie » (et son zizi, aussi).
Vers sa destinée
Freddie Mercury, donc, ou plutôt
Farrokh Bulsara, naît dans une famille indienne zoroastrienne très pratiquante
qui, on s’en doute, voit d’un mauvais œil la musique du diable et plus encore l’homosexualité.
Mais Freddie n’en a cure : il est destiné, il le sait, à devenir l’un des
plus grands chanteurs pop (le plus grand ? Techniquement, l’idée se défend)
que le XXe siècle connaîtra, avec son groupe de compères, très
compréhensifs à ses sautes d’humeur. Malheureusement, Freddie a quelques soucis
avec les substances addictives, une sexualité contrariée (et débordante) et de
gros problèmes d’amour-propre. Mais il reste un musicien d’exception. Dans cet
ordre-là.
Vous avez déjà vu ça cent fois –
pas besoin, ici, d’employer la forme interrogative. De Ray à Straight Outta Compton (parmi beaucoup d’autres), le fameux déroulé narratif « accession
à la gloire/autodestruction/rédemption » n’est pas nouveau, et ce n’est pas
Bohemian
Rhapsody qui viendra chambouler la routine, d’autant que les enjeux
sont ici très limités. Car Freddie Mercury était-il un sale type ? Non. Un
artiste torturé, évidemment, et un gars compliqué à vivre, visiblement. Drama queen avérée, tout à fait
conscient de son génie, Mercury pousse les membres de Queen dans leurs
retranchements artistiques, les exhortant à devenir plus qu’un énième groupe de
rock. Sa solitude intrinsèque le pousse à fuir le bruit du monde –
mais, là encore, tous les grands artistes le font, malheureusement. Appelons ça la rançon du génie... En public aussi, ses comportements interpellent, troublent, voire dérangent. Mais rien
de ce que Mercury n’a accompli dans toute sa carrière, en privé comme en
public, n’est aussi radical et tristement jusqu’au-boutiste que ce qu’accomplit,
disons, Kanye West en 3 jours. Une bonne chose, sans doute, quoique pas en
termes narratifs.
Le sujet de l’homosexualité, pour
sûr, aurait mérité d’être plus approfondi. Peut-être était-ce l’intention de
Bryan Singer, réalisateur originel du film, écarté de la production dans des circonstances pas bien jolies, lui qui avait su faire des superpouvoirs, dans X-Men
et Superman
Returns, une allégorie de l’homosexualité et de la différence. En l’instance,
difficile de savoir ce qui subsiste de la vision de Singer, remplacé par
Dexter Fletcher, réalisateur du (probablement très similaire) biopic sur Elton John, attendu pour 2019.
Restent les moments musicaux. Certains
des morceaux les plus irrésistibles de Queen (Radio Ga Ga, We Are The
Champions et évidemment We Will Rock
You) sont taillés sur mesure pour être scandés dans les stades, clamés par
des foules en liesse. Pas un hasard, donc, que les scènes de concerts,
particulièrement celle de Live Aid, considéré comme la « plus grande performance live de tous les
temps » (si tant est que ce genre de choses peut être mesuré), ne
souffrent pas de la transition des salles de concerts aux salles obscures. Et encore :
reprenant les morceaux originaux du groupe gardés tel quels, elles tiennent
finalement plus du karaoké très bien mis en scène qu’autre chose.
Domo arigato, Mr. Roboto
C’est là que votre copain « biopicophobe »,
celui qui considère que les grands films musicaux sont avant tout des
captations de spectacles live, comme Stop Making Sense ou Shine a Light, a de quoi crâner. De fait, si le storytelling est battu et rebattu, et que les scènes musicales, ne
sont finalement que du lipsync bien
monté, que reste-t-il ? Une belle performance de Rami « Mr Robot » Malek, sans aucun doute,
qui arrive à incarner le chanteur au-delà de la moustache et de la prothèse
dentaire. On ne serait pas étonné de retrouver Malek se distinguer aux
prochains Oscars, aux côtés, peut-être d’une certaine Stefani Gorgonzola, star
bien née, vu le tropisme de l’Académie pour les biopics et les films musicaux.
Comme beaucoup d’autres toujours,
Bohemian
Rhapsody, plie, bon an mal an, la réalité à sa nécessité d’objet de
cinéma. Sans doute parce que la vie quotidienne d’un musicien, fut-il béni des
dieux, est surtout laborieuse et répétitive. Faite d’expérimentations qui
déboucheront, la plupart du temps, sur une impasse artistique. Alors évidemment,
il est beaucoup plus excitant et cinégénique de voir votre musicien favori frappé par la
foudre démiurgique pour composer un morceau d’anthologie, plutôt que de le voir galérer avec des tonnes de quintes, de tierces et d’octaves (pensée émue pour le père Blaise) pendant des heures. Tout comme il serait beaucoup plus pénible de voir
une série médicale réaliste sur le quotidien des médecins et des infirmiers,
surtout fait de toilettes et de grippes, que de regarder Dr House. Reste néanmoins ce constat indéniable : que les
génies de la vraie vie font de bien classiques personnages de fiction.
Bohemian Rhapsody, Bryan Singer, 2018. Avec : Rami Malek, Lucy Boynton, Gwylim Lee, Ben Hardy, Joe Mazzello.
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