Les préquels, c'était mieux après
Dans un sketch hilarant où il
s’imagine rencontrer (et tuer à la pelle) George Lucas avant qu’il réalise les
préquels Star Wars, le comique
Patton Oswalt vitupère : « J’en
ai rien à foutre de savoir d’où viennent les trucs que j’adore ! Je veux
juste adorer les trucs que j’adore ! ». Ce n’est probablement pas
ce mois de novembre 2018 qui le fera décolérer, alors que sortent
quasi-simultanément Les Animaux Fantastiques : Les Crimes de Grindelwald, Robin
des Bois, Casse-Noisette et les Quatre Royaumes et Mowgli. Le point commun entre ces
quatre films ? Tous sont des préquels, venant supposément apporter un
regard neuf et moderne sur des histoires que tout le monde connaît déjà. Si le
procédé n’est pas nouveau (il est né avec Le Parrain II en 1974), on observe
depuis quelques années une recrudescence de ce type de films, et plus
inquiétant, une uniformisation et un nivellement par le bas qui pose question quant
au réel intérêt du genre. Constat (très) inquiet et (un peu) vénère.
PI sans chapeau
Dans les années 80, Steven
Spielberg incitait les apprentis scénaristes à aller droit au but, comme à
Marseille : « Si une personne peut
me raconter un film en 25 mots ou moins, ça fera sans doute un bon film ».
La tendance majeure actuelle à Hollywood peut elle-même être résumée en deux
petites lettres : PI. Derrière cet acronyme, pas le chiffre 3.14, mais le
terme juridique de « propriété intellectuelle ». Qui ne signifie rien
de bien compliqué finalement, simplement qu’Hollywood a de plus en plus tendance
à adapter des « marques » ayant déjà fait leur preuves ailleurs.
Evidemment, on ne va pas jouer les ingénus et faire semblant de découvrir que,
là-bas, « ars gratia artis »
(l’art pour l’art) n’est rien d’autre que le slogan de la MGM. Mais les
matériaux adaptés pendant longtemps par les studios avaient un réel potentiel
cinématographique : romans, bandes dessinées, pièces de théâtre… Même le
concept du remake, s’il tient souvent du crime de lèse-majesté, a pour idée de
base un vrai geste de cinéma. Or, depuis quelques années, Hollywood recycle
tout et surtout n’importe quoi : jeux de plateaux (la bataille navale, le
Monopoly) ou de mains (Transformers, G.I. Joe, Barbie, Lego, Playmobil),
personnages de boîtes de céréales (!) et… pictogrammes téléphoniques.
C’est dans ce nouvel ordre des
choses que s’insère le préquel. Une saga à peine terminée, pas question pour le
moindre producteur de laisser hiberner trop longtemps la poule aux œufs d’or.
Le problème, c’est que cette foultitude génère, pas uniquement une surabondance
qui créerait un maquis touffu, mais aussi et surtout une uniformisation du
genre proprement consternante. Prenez un préquel, n’importe lequel, et vous y
trouverez très souvent les mêmes éléments : un peu de fan service d’abord,
avec d’inévitables clins d’œil et coups de coudes à la saga originelle, beaucoup
de facilités ensuite, qu’il s’agisse de raccourcis scénaristiques ou de
psychologie freudienne au ras des pâquerettes. Des tares depuis longtemps
intégrées (et revendiquées) par des studios goulus, et qui constituent rien d’un
moins qu’un foutage de gueule sans scrupules à l’égard du public.
Tout, tout de suite
Tant pis si tout le monde a déjà vu 50 versions de Robin des Bois, Tarzan ou Peter Pan. D’ailleurs, le succès ininterrompu des versions Disney de ces personnages classiques montre que le public n’en a toujours pas marre (d’autant que Mickey ne se prive pas de faire la même chose, lol). Quand ces héros n’ont pas d’origine bien définie, on leur en invente, quitte à raconter des bêtises : que Peter Pan et Crochet étaient des gars sûrs avant de se brouiller à mort, par exemple. Quand des origines existent bel et bien sur papier, mais que les bouquins seraient trop fins pour caler une commode, on dilue, on étire, on meuble, en faisant croire au chaland qu’on a encore quelque chose à dire (mention spéciale à la trilogie du Hobbit, qui attend son dernier film pour introduire de l’action). Tant pis si J.K. Rowling est une romancière talentueuse mais une scénariste médiocre. Tant pis si l’auteure elle-même se torche allègrement avec la chronologie canonique qu’elle a mis si longtemps à bâtir. Ce qui compte, c’est d’avoir un cliffhanger à la fin du film, fût-ce pour l'envoyer sur les roses plus tard. Tant pis encore, tant pis toujours, aussi et surtout pour le spectateur : une fois que vous aurez lâché du brouzouf, le studio prendra ça comme une incitation à continuer de plus belle. Ce qui ne veut pas dire que tout préquel est voué à l’échec – on en dénombre même des très bons. Sans surprise, c’est lorsque c’est le petit écran s’empare du genre que c’est le plus réussi, comme en témoignent Hannibal ou Better Call Saul. Logique : montrer comment le placide Jimmy McGill est devenu le redoutable Saul Goodman en 4 (pour l’instant) saisons, c’est faisable. Montrer comment Han Solo a embrassé la thug life en 2 h 15, c’est proprement suicidaire.
Le préquel, finalement, ne fait
que répondre à un besoin de son époque. Une ère perfusée aux chaînes d’info en
continu et à la surveillance généralisée, où chacun s’offusquerait presque
qu’on lui restreigne le droit de tout savoir sur tout le monde. Une ère qui
veut tout savoir, tout de suite. Alors forcément, pas question qu’on laisse la
moindre trace d’ambiguïté derrière chaque héros populaire. Celui qui a vraiment
lancé la mode du préquel, c’est Christopher Nolan et sa saga du Dark Knight. Pompé par tout le monde ou
presque, sa trilogie écrase pourtant toute velléité de concurrence de la tête
et des épaules. Parce qu’en bon storyteller,
Nolan savait laisser des trous dans son histoire là où il le fallait. On ne
sait rien, par exemple, de son Joker joué par Heath Ledger. Et c’est totalement
volontaire, puisque ce mal qui frappe Gotham City est une métaphore de
l’Amérique des années 00, qui découvre un jour de septembre 2001, avec stupeur
et effroi, un ennemi dont elle ignorait tout jusqu’alors. Aujourd’hui, alors
que pas un mais deux films sont en développement sur les origines du Joker, on
se dit que mystère et suspens ne sont plus.
L'agonie d'un genre
L'agonie d'un genre
Ce qui nous amène assez
logiquement à Casse-Noisette et les Quatre Royaumes, qui suscite déjà la
consternation partout où il passe et pour lequel il aura tout de même fallu
deux cinéastes vétérans, Joe Johnston (Captain America) et Lasse Hallström
(Gilbert
Grape) pour en venir à bout. Si l’on retrace sa généalogie, on peut
voir que le film est adapté d’un opéra de Tchaïkovski, lui-même basé sur la
libre adaptation par Alexandre Dumas d’un conte d’Ernst Theodor Amadeus
Hoffmann. Vive l’originalité… A l’écran pourtant, ça ressemble surtout à un mix
raté du Magicien d’Oz, du Monde de Narnia, de Labyrinthe,
et plein d’autres productions anonymes pour minots. Les
ayant-droits des trois précités auraient d’excellentes raisons de se sentir
offensés. Mais qu’il n’y ait pas d’ayant-droit (puisque l’œuvre est depuis
longtemps dans le domaine public) est précisément ce qui a motivé la création
du film en premier lieu. Pas de droits à préempter, pas d’héritiers à se
coltiner ! Un peu comme le système néo-libéral, qui se présente depuis des
décennies comme l’unique recours d’une société démocratique moderne, alors qu’il
en présente un horizon final particulièrement lugubre, un film comme Casse-Noisette représente le stade terminal du blockbuster moderne. Un recyclage éhonté de tout
ce qui s’est déjà vu 1000 fois et qui tente néanmoins, avec ses effets spéciaux
dernier cri, de nous faire croire à sa pertinence et son intérêt. Si le bout de la ligne ressemble à ça, on croise les orteils pour dérailler d'ici là. Pour paraphraser
George Orwell : si vous voulez une vision de l’avenir, imaginez un nouveau
film Robin
des Bois, tous les deux ans – pour toujours.
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