Sam Simon, jaune et joli

 


Chaque succès a sa part d’ombre, son histoire cachée. Qui sait, par exemple, que c’est pas mal grâce à Ric Ocasek, mentor de Weezer (et par ailleurs chanteur émérite des Cars) que l’on doit l’existence du tube Island in the Sun ? Ou que c’est aussi grâce à l’inénarrable Patrick Sébastien qu’Albert Dupontel et Jean Dujardin ont été lancés ? Carton historique (34 saisons à ce jour) et phénomène de société, Les Simpson n’y dérogent pas, et doivent une partie de leur popularité initiale a un homme que les livres d’histoire (télévisuelle) ont oublié : Sam Simon. Aux yeux du grand public, le grand mamamouchi de la tribu jaune, c’est évidemment Matt Groening – et pour cause : leurs prénoms sont aussi ceux des membres de sa famille… Pas loin derrière, on connaît et reconnaît aussi James L. Brooks, cinéaste doué (Tendres Passions, Broadcast News) et producteur au nez creux qui fut le premier à déceler le potentiel de Groening, alors cartooniste underground. Simon, lui, est le troisième homme du show, le « unsung hero » comme on dit là-bas, celui dont on n’a pas assez chanté les louanges. D’autant plus méconnu que Simon a eu le mauvais goût de trépasser en 2015, non sans avoir donné à diverses associations caritatives les centaines de millions de dollars qu’Homer et sa mif lui auront rapporté…

Destin animé

« La vie est belle, le destin s’en écarte. Personne ne joue avec les mêmes cartes. » Le refrain est connu et la vie de Sam Simon, elle, commence sous les plus beaux auspices. Né à Beverly Hills, quartier huppé de Los Angeles – auquel Weezer ajustement consacré une chanson. Ses voisins se nomment Elvis Presley, Groucho Marx et… Walt Disney, qui fait la prédiction que le jeune Sam travaillera un jour dans son studio ! Papa Walt n’aura pas visé trop à côté : après ses études, Simon rejoint la firme Filmation et bûche sur des séries comme T'as l'bonjour d'Albert, chapeauté par l’alors tout-puissant Bill Cosby. Des cartoons que Simon juge « affreux » ; sans tarder, il rejoint les équipes de Taxi, sitcom populaire des 70s, portée par Christopher Lloyd, futur Doc Brown, et Andy Kaufman, le comique kamikaze campé par Jim Carrey dans Man on the Moon. Quand Taxi se gare au bout de cinq saisons, Simon en sera finalement devenu le showrunner. Au cours de la décennie 80, il écrit pour d’autres sitcoms à succès comme Cheers ou It’s Garry Shandling’s Show – mais Shaping Up, qu’il crée, est en revanche tuée au bout de cinq petits épisodes.


C’est en 1987 que tout change : James L. Brooks, autre transfuge de Taxi, l’invite à prendre part à la production de l’émission de variétés The Tracey Ullman Show, qui inclut divers segments, dont des pastilles animées mettant déjà en scène les cinq membres de la famille que l’on connaît. La réaction du public est largement positive, et la chaîne Fox avalise un projet d'épisodes de 22 minutes. On connaît la suite ; les coulisses un peu moins. Non content d’officier comme showrunner et comme superviseur créatif sur les quatre premières saisons, il assemble un pool de scénaristes qui feront de la série ce qu’elle est. De purs nerds, bardés de diplômes en biochimie ou en sciences de l’électronique, biberonnés à l’humour post-moderne et à la contre-culture des années hippies, et pour certains déjà passés par les bancs du Saturday Night Live ou du late show de David Letterman. Ils se nomment John Swartzwelder, George Meyer, Al Jean ou Mike Reiss, et ce seront eux les premiers apparatchiks des Simpson. Jon Vitti, autre scénariste là depuis les débuts, déclare même : « Laisser Sam Simon de côté, c’est raconter la « version officielle » de l’histoire ; c’était lui le type pour qui on écrivait. » C’est Simon qui exhorte les auteurs à insuffler du cœur et de la sensibilité à ce qui ne pourrait être qu’une succession de saynètes, Simon aussi qui esquisse la ville-monde de Springfield et dessine les futurs personnages culte que sont Charles Montgomery Burns, le docteur Hibbert (parodie à peine voilée de Bill Cosby) et Clancy Wiggum, incompétent chef de la police locale. Avec Les Simpson, Simon tient sa revanche : oubliés, les décennies de cartoons du samedi matin à l’animation bâclée et aux scripts paresseux. Pour la première fois, la série télé la plus intelligente et la plus drôle de son époque est un dessin animé. Consciemment ou pas, Simon a contribué à créer une œuvre qui doit autant à Groucho qu'à Disney.

« Maintenant, c'est l'inverse »

Mais son exigence, son intransigeance, Simon la paiera au prix fort : initialement sans remous, la collaboration entre lui et Groening s’envenime assez rapidement. Une mésentente née de la crainte partagée par tous de voir le projet annulé après sa première saison. La philosophie de Simon est simple : « Treize épisodes, et basta ! » Déjà vieux routier de la prod télé, lui ne croit pas qu’une œuvre aussi novatrice puisse être renouvelée. « Je disais ça pour apaiser tout le monde. Je voulais juste dire : ‘Allez, on fait treize épisodes très bons et très drôles' », précisera-t-il en 2009. Mais le mal est déjà fait, et Matt Groening est persuadé de l’exact opposé : que Simon se fiche que le show continue, puisque sa carrière survivra sans doute à un bide… Quand il quitte Les Simpson en 93, Simon déclare « ne plus s’y amuser » mais a négocié un parachute en platine ; il touche chaque année plusieurs dizaines de millions de dollars, notamment indexés sur les ventes en vidéo. L’intéressé est le premier à le reconnaître : « Quand je bossais là-bas, je trouvais que j’étais sous-payé. Que je n’étais pas reconnu à ma juste valeur. Maintenant, c’est l’inverse. On m’accorde trop de mérite et ce que je touche est indécent. » Il ne retrouvera jamais l’éclat de ses années Simpson. Il réalise bien des épisodes de sitcoms en vue, comme Friends ou le Drew Carey Show, mais ne tiendra jamais plus de rôle créatif de premier plan. Pire encore, son caractère difficile (« Chaque série sur laquelle j’ai travaillé me transforme en monstre. Je deviens dingue, je me déteste. ») aide à précipiter dans la tombe son nouveau projet, le George Carlin Show. Carlin, légende du stand-up qui donne son nom à la série, se montrera acerbe dans ses mémoires : « J’ai passé un super moment. Je n’ai jamais autant rigolé qu’avec les autres membres de la distribution. Le gros problème, c’est que Sam Simon était un type affreux à côtoyer. Un mec très, très drôle, vif et brillant, mais aussi un type malheureux qui traite mal ceux qui l’entourent. »

« Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien » : cet adage desprogien, Simon aurait pu le faire sien sans hésiter. Les dernières années de sa vie, il les passe en effet à financer diverses œuvres de charité au service des animaux, de compagnie ou sauvages. Il n’aura jamais travaillé pour Walt Disney mais, dans un de ces retournements de situation dont l’industrie hollywoodienne a le secret, la Fox et donc Les Simpson, ont été rachetés en 2017 par la Maison de Mickey. Et, à voir ce qu’est devenue la série, on ne peut s’empêcher cette interrogation : tout succès alternatif est-il voué à s’embourgeoiser, et la contre-culture finit-elle toujours dans la main, invisible mais prédatrice, du Grand Capital ? En voilà une drôle de question.

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