Pam & Tommy, caméra gâchée

 


Ça y est : après avoir largement exploré et exploité les années 1970 et 1980, la grande machine à recycler s’attaque à la décennie 90. Et, pour raconter les happy 90s, Disney+ n’y va pas par quatre chemins : qui de plus symbolique, de plus zénithal que Pamela Anderson, sa vie, son œuvre ? Son œuvre fait maison, en tout cas : les plus jeunes l’auront oublié (ils sont tout pardonnés) mais, en 1995, le maillot rouge le plus connu au monde était en pleine tourmente, à cause d’une sextape tournée avec son Tommy Lee de mari (batteur du groupe Mötley Crüe) et finalement donnée à voir au monde entier lorsqu’un charpentier floué décida de se venger…

Adaptée pour la télévision sous le nom de Pam & Tommy, cette anecdote devient un cautionary tale – ou « histoire édifiante », traduction toutefois pas pleinement satisfaisante – censé interloquer et faire réfléchir son audience. Robert Siegel, tête pensante de la série, s’est d’ailleurs spécialisé dans ce genre de récits, avec Le Fondateur, consacré à la naissance de la franchise McDonald’s et Welcome to Chippendales, série stylistiquement jumelle de Pam & Tommy. (Un équivalent français pourrait être Tapie, aussi inspiré d’un destin bien réel et haut en couleurs, et située à la même époque.)

De fait, du haut des presque huit heures permises par le format de la mini-série, Pam & Tommy prend cette sordide historiette comme un prétexte pour aborder une foultitude de sujets : les balbutiements d’Internet et, par ricochet du voyeurisme en ligne, le poids de la célébrité, la liberté au sens sacro-saint que les Américains lui donnent, la solidarité entre les femmes, voire la lutte des classes… La série se rêve sans doute en « Grand roman américain », ces livres signés Norman Mailer, Tom Wolfe ou Michael Chabon, qui ont si bien su ausculter et disséquer leur pays en regardant par le petit bout de la lorgnette. Mais la série manque souvent de souffle pour y arriver.


 

La faute, sans doute, à une indécision, à une incapacité de fond à vraiment trancher : le centre ou la périphérie ? Pamela Anderson et Tommy Lee, les riches et célèbres exhibés dans les tabloïdes, ou Rand Gauthier, le petit artisan roulé que la postérité a oublié ? L’histoire officielle ou la note de bas de page ? Incapable de choisir, la série tente un moment les barres parallèles narratives, pour mieux se casser le nez ; dommage car quand elle sait où elle va – comme dans le quatrième épisode, véritable origin story d’Anderson, logiquement baptisée « Pamela au pays des merveilles » – elle sait être impressionnante.

A ce non-choix narratif, il faut ajouter les défauts chroniques des mini-séries contemporaines diffusées par torrents sur les plateformes – comme cette volonté agaçante, voire risible, de psychologiser (à gros traits) tout personnage de l’intrigue (mention spéciale à Rand Gauthier, énurétique à l’enfance à cause de… son père qui ne l’a pas assez aimé ?!) et l’idée de convier à l’affaire des protagonistes dont on se contrefiche. Avait-on vraiment besoin – ou envie – de recueillir aussi le point de vue de Jay Leno, trublion égrillard de la télé américaine pour qui cette VHS XXX fut une poule aux œufs d’or, ou à Hugh Hefner et Bob Guccione, frères ennemis du porno de papier glacé pour qui toute cette affaire devint un casus belli ? Probablement pas.

Pam & Tommy n’est pas tant une série ratée qu’une série gâchée – qui saborde une à une toutes les bonnes intentions dont elle disposait initialement : une histoire pleine des poisons et délices du sexe et du pognon, les moyens de la raconter confortablement, et deux interprètes (Lily James et Sebastian Stan, bluffants dans leur mimétisme) visiblement prêts à tout. A moins que les ambitions gâchées, les illusions perdues, soient ici le vrai grand sujet ? Car personne n’est vraiment sorti grandi de cette histoire triste à pleurer : ni Pam et Tommy, pris individuellement comme collectivement (leur mariage ne durera que trois ans), ni les soutiers de la sextape, doublés et plumés par des maquignons plus malins et plus puissants qu’eux ! Plus que toute autre séquence, on retiendra in fine de Pam & Tommy un ultime montage au son de I will always love you. La version de Dolly Parton, la plus belle, celle que l’on entendra aussi en clôture du Priscilla de Sofia Coppola. Un film qui est un peu à Priscilla Presley ce que Pam & Tommy fut à Pamela Anderson ou Blonde à Marilyn Monroe : le manuel de contre-histoire, imparfait mais salutaire, d’une femme dont l’histoire aura toujours été dictée et racontée par des hommes.

Pam & Tommy, Robert Siegel, 2022. (1 saison) Avec : Lily James, Sebastian Stan, Seth Rogen, Nick Offerman, Fred Hechinger.

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