Rematch, la maison n'accepte pas l'échec

 


L’histoire était trop belle pour n’être pas télégénique : en 1996, le champion du monde d’échecs Garry Kasparov était battu par le supercalculateur Deep Blue, propriété d’IBM – combat de titans reproduit en 1997 lors d’un match retour, ou « rematch », donc. Contée en 2024, cette historiette sert surtout de prétexte à un vadémécum sur l’intelligence artificielle, dont la partie émergée est, il est difficile de l'ignorer, les outils génératifs du type ChatGPT ou Midjourney. Un surplomb historique qui finit hélas par desservir Rematch, entre répliques qu’on croirait écrites par Mac Lesggy (« Face à l’intelligence artificielle, que va devenir le cerveau humain ? ») et coups de coude appuyés au futur pas encore advenu (des personnages esbaudis devant les miracles de la connexion Wi-Fi).

Autre écueil que la série ne parvient pas à éviter : la caractérisation de personnages, beaucoup trop superficielle pour qu’on y croit vraiment. Le plus mal chaussé est certainement Garry Kasparov lui-même, portraituré en type rongé par la paranoïa (il voit le KGB partout) et à la psychologie somme toute grossière – puisque des flash-backs superflus nous apprennent que c’est en damant le pion à son papa qu’il a attrapé le virus des cases blanches et noires. L’objectif derrière tout ça, sans doute : nous faire comprendre que Kasparov était un animal à sang-froid, à peine moins mécanique que son adversaire numérique. L’idée est louable, tout comme peut l’être celle des créateurs de se tenir à bonne distance du vrai champion, pour éviter de tomber dans l’hagiographie. Mais si l’abnégation et l’inflexibilité du Soviétique incarnent sans doute un modèle à suivre pour les jeunes échéquistes du monde entier, faire porter une (mini-)série sur de telles épaules, voilà qui est risqué… Les seconds rôles (la mère de Kasparov, les salariés d’IBM aux dents longues…) ne dépassent, eux non plus, jamais le stade de la caricature, à l’exception d’un onctueux agent sportif incarné par le très chic Aidan Quinn, ex-beau gosse hollywoodien réinventé en renard argenté.

Ironiquement, pour une œuvre qui aborde les dangers portés par l’intelligence artificielle, Rematch laisse la furieuse impression d’avoir été écrite par un algorithme ; comme si l’on avait mis dans une machine toutes les récentes mini-séries de 6 à 8 épisodes et adaptés de faits réels, dont Netflix et ses concurrents raffolent désormais, pour pondre une œuvre dotée de tous les signes extérieurs de prestige. De fait, si Rematch ne dépasse jamais le stade d’une bonne première idée transformée en série passionnante, quelque chose nous dit qu’on n’a pourtant pas fini d’en découdre avec ce genre d’objets redoutablement calibrés – et récompensés, en l’occurrence au festival Séries Mania de Lille. On n’arrête, hélas, pas le progrès.

Rematch, Yan England et André Gulluni, 2024 (1 saison). Avec : Christian Cooke, Trine Dyrholm, Aidan Quinn, Sarah Bolger, Orion Lee.

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