Murderbot, futur intérieur

 


Nous sommes des millénaires après Jésus Christ. Toutes les planètes découvertes ont été mis sous coupe réglés par un capitalisme prédateur et débridé, rendu plus puissant que jamais par les dernières  technologies spatiales. Toutes ? Non ! Car des phalanges peuplées d'irréductibles néo-zadistes résistent encore et toujours à l’envahisseur… Et la vie n’est pas facile pour l’androïde qui s’est auto-baptisé Murderbot. Aussi attendri qu’agacé par les petits travers et grandes lâchetés qu’il découvre chez les humains, ce nolife – dans tous les sens du terme – pourra lui aussi s’émanciper de sa condition de simple cyber-factotum… si toutefois il arrive à se défaire de son addiction aux « contenus multimédia » qu’il dévore par pleines saisons.

Dystopique du cancer

Inspirée d’une suite de romans courts de l’auteure Martha Wells – fort bien traduits chez nous par Mathilde Montier aux édition L’Atalante – et adaptées par les frères Chris et Paul Weitz (naguère créateurs de la saga American Pie !), Murderbot décline de fait une satire assez réjouissante du capitalisme tardif, ici transposée dans le cadre de la fonction spéculative propre à la science-fiction. De ce point de vue, elle se place dans le sillage d’une flopée d’oeuvres récentes aux ramifications assez proches ; des titres aussi divers que Mickey 17 de Bong Joon-ho, Le Grand Déplacement de Jean-Pascal Zadi ou Alien: Earth de Noah Hawley, tous sorties au cours de cette dernière année.

Des films et série imparfaites, polarisantes, certes non sans défaut, mais qui ont comme large mérite de renouveler notre imaginaire en matière de science-fiction – microcosme qui a trop longtemps vivoté à coups de décalques de Blade Runner ou de Brazil. Dans ces oeuvres, les périls – politiques, environnementaux, économiques – n’ont plus rien de fantasmes et les créateurs ont à peine à forcer le trait pour que l’on croit à leurs univers dystopiques. Peut-être est-ce justement parce que la réalité ressemble de plus en plus à une dystopie que ces fictions-là finissent par buter : comment créer un méchant de cinéma plus caricatural et plus outrancier que l’actuel locataire de la Maison-Blanche ? Et, en mettant l’accent sur un robot qui singe les humains jusque dans leur addiction aux plateformes de streaming (dernier moyen d’évasion dans un horizon bouché ?), Murderbot fait mouche, puisque ce sont aujourd’hui les conglomérats qui possèdent ces plateformes (ou des réseaux sociaux, ou tout ce qui a trait à l’économie de l’attention) qui sont précisément les composantes principales du système capitaliste contemporain. Savoureuse ironie : c’est sur AppleTV+, plateforme maison de l’un des GAFAM que la série est diffusée…

Skarsgård fou

Mieux encore, la série ne sombre jamais dans le pensum guindé que le dernier paragraphe pourrait laisser présumer. Elle est même sacrément habitée et incarnée, en l’occurrence par l’excellent Alexander Skarsgård, acteur que l’on sait talentueux depuis un moment déjà mais qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Avec sa plastique à la fois irréprochable et étonnamment froide, sa diction monocorde, son rigorisme redoutablement suédois, Skarsgård enfile comme un gant la combinaison de métal de « l’AssaSynth » qui donne son nom à la série. Autour de lui, les autres interprètes – peu de gens vraiment connus mais beaucoup de visages familiers du petit et du grand écran – ne déméritent pas mais ne parviennent (ni n’essayent ?) jamais vraiment à lui voler la vedette. L’expérience du moment consiste d’ailleurs à regarder à la suite Andor et Murderbot, pour y voir briller deux générations de Skarsgård, le père Stellan et le fils Alexander, et y trouver deux pistes de résistance et deux perspectives d’émancipation face à des avenirs particulièrement lugubres.

Murderbot : Journal d'un AssaSynth (Murderbot), Chris Weitz et Paul Weitz, 2025 (1 saison). Avec : Alexander Skarsgård, Noma Dumezweni, David Dastmalchian, Sabrina Wu, Akshay Khanna.

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards