Argylle, espion casse-toi !

 


En 2002, Goldmember, dernier volet de la franchise Austin Powers, s’ouvrait par une séquence de « film dans le film » ; le plus mal denté des agents secrets britanniques y était joué par Tom Cruise (et Docteur Denfer par Kevin Spacey, Mini-Moi par Danny DeVito, etc.), le tout sous la direction de Steven Spielberg. Tout cela ne volait certes pas bien haut mais avait au moins le mérite de boucler la boucle d’une saga ayant fait du pastiche graveleux du film d’espionnage anglais son seul horizon cinématographique – depuis les James Bond ère Connery jusqu’au Harry Palmer incarné par Michael Caine en passant par l’éphémère saga Notre homme Flint, portée par James Coburn. On ne sait si Matthew Vaughn goûte Goldmember mais on y songe en tout cas furieusement en voyant Argylle, son nouvel opus d’espionnage après Kingsman, saga déjà en panne sèche au bout de trois films. La mauvaise nouvelle, c’est que cette vaste blague, cette fiction autoparodique, ne dure plus seulement une séquence pré-générique mais le (long) temps du film tout entier.

Vaste blague, donc, débutée dès la préproduction du film, supposément basé sur les livres de la romancière Elly Conway, laquelle… n’existe pas et est tout simplement le nom du personnage interprété dans Argylle par Bryce Dallas Howard, alors que le héros typiquement bondien interprété par le ciselé Henry Cavill est en réalité une simple créature de papier – duperie révélée dès la bande-annonce*. À moins que l’agent Argylle n’existe lui aussi, comme nous le laisse à penser la fin du film ? On vous en laisse juges, moins pour laisser le suspense intact que parce qu’on peine à démêler quelque chose de scénario erratique et (inter)minable, faits d’épuisants allers-retours entre les différents niveaux diégétiques, d’atermoiements amoureux dignes d’un mauvais vaudeville et d’effets spéciaux criards, indignes d’un spectacle budgété à 200 millions de dollars. Nul doute que Vaughn connaît sur le bout des doigts le genre auquel il s’attaque, qu’il s’agisse de cinéma ou de littérature (John Le Carré et Frederick Forsyth sont cités au détour d’une réplique) et voit sans doute son film comme l’alliance idéale de la frénésie d’un Mission : Impossible et de la patte décalée d’un OSS 117. On est malheureusement plus près de Bons Baisers de Hong Kong, avec Les Charlots.

 

 

Les interprètes sont à peine mieux lotis : les pourtant talentueux Sam Rockwell, Samuel L. Jackson, Bryan Cranston, John Cena (mais si !) et Catherine O’Hara sont tous gâchés à des degrés divers dans des rôles qui tiennent hélas moins de personnages clairement définis que de la chair à canon, dans un récit qui pratique la fuite en avant par peur de faire du surplace. Pour leur défense, jouer quasiment à armes égales avec un chat – mal – généré par images de synthèse n'incite sans doute pas à mettre du cœur à l’ouvrage.

Plus que tout le reste, c’est son usage à plusieurs reprises de la « nouvelle » chanson des Beatles, Now and Then, qui symbolise le mieux le film. Argylle poursuit, à peu de choses près, le même but que cette remarquable exploitation patrimoniale rendue possible grâce à l’intelligence artificielle : capitaliser à peu de frais sur un hypothétique âge d’or anglais, en matière de pop music comme de récits d’espionnage**. Comme pour nous dire que tout était mieux avant, avant le Brexit et le « Royaume désuni » (courtesy of Jonathan Coe) et mérite tout de même bien qu’on s’y accroche, quitte à n’avoir rien de neuf à dire et faire dans la nostalgie de bazar. Quelle époque, mes aïeux, quelle époque !

Argylle, Matthew Vaughn, 2023. Avec : Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, Henry Cavill, John Cena, Bryan Cranston.

*Si le cœur vous en dit, vous pourrez d’ailleurs acheter Argylle, le livre, qui a bel et bien été écrit par un prête-nom. Il n’y a décidément pas de petit profit.

** Sur les ponts jetés entre les Beatles et James Bond, lire Love and Let Die: James Bond, the Beatles, and the British Psyche de l'auteur John Higgs. Livre dont le postulat est le suivant : "Dr No, le premier film de James Bond, et Love Me Do, le premier disque des Beatles, sont sortis le même jour : le vendredi 5 octobre 1962. La plupart des pays ne peut que rêver qu'un de ses exports culturels devienne un phénomène mondial d'une telle ampleur. Pour la Grande-Bretagne, produire deux succès emblématiques de ce niveau, le même après-midi venteux d'octobre, était sans précédent."

Posts les plus consultés de ce blog

The Flash, chronique d'une mort annoncée

Robert De Niro, âge tendre et gueule de bois

Vous reprendrez bien une part de mondopudding ?