Mission : Impossible - Dead Reckoning, machine qui rêve

Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que Mission : Impossible prouve qu’on peut, après sept films, en avoir sous le capot. La mauvaise, c’est que toutes les franchises (Transformers ou Star Wars, pour ne citer que les plus mal en point) ne peuvent pas en dire autant. Car il faut effectivement le talent, l’abnégation, le nez creux d’un Tom Cruise pour guider son navire d’une main de maître ; comme souvent avec lui, dans cette saga, rien n’est laissé au hasard.

Mouvement perpétuel

Cela commence dans un décor familier du film d’espionnage : un sous-marin, quelque part entre A la poursuite d’Octobre Rouge et USS Alabama. Évocation trompeuse : tout ce qui suit – course-poursuite dans l’aéroport d’Abou Dhabi, exploration en Fiat 500 du dédale des rues romaines, final ferroviaire et dantesque – repousse les limites de la pyrotechnie hollywoodienne. Même à l’échelle de la filmographie de l’acteur, artificier sans équivalent dans le paysage actuel, on n’a jamais vu mieux dans le genre.

Car Mission : Impossible est, comme on avait déjà pu l’écrire, une « saga mutante et en mouvement perpétuel », qui n’a cessé d’évoluer depuis ses débuts il y a presque trente ans. Durant ses quatre premiers films, elle sert avant tout de laboratoire d’expérimentation à de grands stylistes (Brian De Palma, John Woo, J.J. Abrams, Brad Bird), qui peignent quatre tableaux différents et autonomes sur un même thème imposé : Tom Cruise et son double fictionnel, Ethan Hunt, aux capacités tellement surhumaines qu’elles en deviennent suspectes. À compter du cinquième volet, en 2015, la saga se réaxe, et commence à introduire des éléments et des personnages revenant d’un film à l’autre, des récurrences, des cliffhangers. Sans pour autant s’adonner à la continuité échevelée et écrasante des films Marvel, la franchise privilégie une histoire sérialisée. Un choix raisonnable, sans aucun doute – puisqu’à l’époque déjà, le mythe cruisien a déjà perdu de sa superbe aux yeux du grand public et l’acteur se montre moins aventureux – qui n’en est pas moins fascinant.



Héros tragique

Repris en main par Christopher McQuarrie, cinéaste à qui l’on doit les quatre derniers volets (ainsi que Jack Reacher, déjà avec Cruise), Ethan Hunt devient le héros tragique et sacrificiel par excellence : Fallout, qui faisait revenir son ex-femme, jetait la lumière sur le triste tableau personnel et conjugal de l’espion. Dead Reckoning, révèle même, pour la première fois, les raisons qui l’ont poussé à rejoindre les rangs de l’Impossible Mission Force des décennies auparavant, la mort d’un être aimé. La démarche n’est pas nouvelle (voir Casino Royale ou Solo, pour ne citer que les plus récents) mais prend une dimension inédite en nous révélant la raison sous-jacente aux cabrioles et au style de vie de trompe-la-mort du personnage : il n’a plus nulle part d’autre où aller.

Aussi ce possible pénultième volet, qui annonce une deuxième partie en 2024, boucle habilement la boucle avec les origines de l’histoire, par la voie d’Eugene Kittridge, big boss d’Ethan Hunt dans le premier volet (1996), et d’un final à bord de l’Orient-Express, qui fait écho à celui situé dans l’Eurostar. En trois décennies, acteur et personnage n’auront cessé de s’effacer, de s’estomper toujours plus vers le nébuleux et le conceptuel. Jusqu’à devenir une espèce de figure abstraite, asexuée, désormais moins un homme qu’une idée. Ce n’est peut-être pas un hasard si le héros de Mission : Impossible affronte dans ce numéro 7 une intelligence artificielle, réelle mémoire vive de l'humanité dotée du don d’ubiquité et insaisissable, dans un monde techno-gouverné rappelant celui prophétisé par Minority Report : sans doute faut-il une machine humanisée pour affronter un humain réifié.

Mission : Impossible - Dead Reckoning, partie 1 (Mission : Impossible - Dead Reckoning, Part One), Christopher McQuarrie, 2023. Avec : Tom Cruise, Hayley Atwell, Rebecca Ferguson, Ving Rhames, Simon Pegg.

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