Venom : Le diable au corps
Sale époque que celle que nous vivons. Comme dans un rêve érotique néolibéral, le genre super-héroïque est devenu un véritable oligopole : deux colosses (Disney/Marvel et Warner/DC) qui se livrent une guerre acharnée, ou tous les coups – surtout les plus bas – sont permis. Quand Marvel fait le plein avec ses Beatles, DC fait le vide avec ses Rolling Stones. Quand Marvel écrit l’Histoire avec le premier super-héros Noir à engranger des milliards, DC songe à confier le rôle iconique de Superman, le plus wasp de tous ses super-héros, à Michael B. Jordan, acteur noir qui jouait le méchant dans… Black Panther. Et quand Marvel met James Gunn à la porte pour une histoire de vieux tweets pas drôles, DC l’engage pour mettre en scène la suite de l’infâme Suicide Squad. On pourrait continuer comme ça pendant des heures. Le problème ici, c’est que même les guéguerres de bac à sable ont parfois quelque chose de divertissant ; là, ce n’est même pas le cas, puisque l’affrontement est digne d’un mauvais match de catch. Un match Mayweather/McGregor, commenté avec force et fracas, alors qu’à chaque round, c’est le type qui a gagné plein de matchs de boxe qui bat le type qui n’a jamais gagné un match de boxe. Excitant, non ?
En marge de ce choc des titans,
tous les autres studios peinent à faire exister leurs franchises maison. Sony,
par exemple, qui inaugure avec ce Venom un projet au mieux idiot, au
pire suicidaire : faire tenir debout un univers ciné Spider-Man dont
Spider-Man est quasiment absent.
L’affiche le claironne
fièrement : « le monde a
assez de super-héros ». Dans l’esprit de ses producteurs, voilà ce
qu’est donc Eddie Brock/Venom (Tom Hardy) : un anti-héros. Mais –
attention ! – un anti-héros rendu compatible avec les prérogatives d’un
spectacle PG-13, c’est-à-dire censé s’adresser au plus grand nombre : zéro
effusion de sang, zéro gros mot. Zéro prise de risque aussi : comme dans Suicide
Squad, autre film censé mettre en scène des héros qui ne s’embarrassent
pas de la rigueur morale super-héroïque, aucun "héros" ne commet d’acte vraiment répréhensible, aucun gentil ne
meurt – saga oblige. Un peu comme si Aldrich ou Peckinpah avaient décidé de
racheter in extremis leur Douze
Salopards et leur Horde Sauvage, juste pour que le
studio continue à vendre des jouets et du pop-corn. Un défaut récurrent du
genre, qui empêche les scènes d’action d’être autre chose qu’un ramassis
brouillon, illisible et vain de monstres en CGI, comme c’est le cas ici entre Venom
et le fourbe Riot. Pauvre Ruben Fleischer, réalisateur comique (Bienvenue
à Zombieland) complètement paumé dans des galères à gros budget –
voir Gangster
Squad, remake des Incorruptibles par une MJC vendéenne, pour
s’en convaincre.
Le personnage d’Eddie Brock n’est
pourtant pas dénué d’intérêt, et est ici rénové pour coller à son époque. Hier
gratte-papier, il est devenu un journaliste de terrain, qui aime frapper là où
ça fait mal, et mettre les grands de ce monde face aux conséquences de leurs
actes ; pour un peu, Elise Lucet pourrait l’embaucher pour ses Cash Investigation. Face à lui, Carlton
Drake est une pub vivante pour la start-up nation. A mi-chemin entre Mark
Zuckerberg et Elon Musk, sa société (la Life Foundation !) se dit
altruiste mais fait toutes sortes de tests affolants sur des sujets humains. Il
est typiquement d’une droite 3.0, faussement cool, là où Eddie Brock pourrait
être d’une gauche populaire (populiste), qui tente de revenir à une démocratie
directe. Mais leurs affrontements deviennent beaucoup moins prometteurs une
fois les costumes enfilés.
Au sein de ces colonnes, on avait
déjà pu dire de Tom Hardy qu’il était une sorte de Marlon Brando moderne –
constat qui se confirme même avec les mauvais films, ce que Venom
est certainement. Comme Brando, ou Pacino, le premier de ses fils spirituels,
Vous-m’avez-dit-de-dire-Hardy a cette capacité d’égayer, au moins par
intermittence, les projets les plus anodins ou les plus ratés (et certains
films de Brando-Dieu le père sont très mauvais). Les meilleures scènes du film sont celles où l’acteur s’abandonne à
cette force brute, anomique qu’il incarne si bien, comme en témoignent
certains de ses plus beaux rôles, d’authentiques anar comme Bane,
Charles Bronson ou les frères Kray. Hardy/Brock qui se plonge dans le bassin à
homards d’un restaurant chic pour se rafraîchir, il faut le voir pour le croire.
Malheureusement, ce Tom dangereux ne
fait qu’uriner dans un instrument à cordes, tant la médiocrité constante de l’ensemble
le dessert. En sus d’une direction artistique ringarde et laide (on se répète),
tous les autres personnages viennent de nulle part et ne vont pas beaucoup
plus loin. Là encore pour des raisons de cahier des charges, on a droit à non
pas une, mais deux scènes post-générique ; l’une à laquelle on ne capte strictement rien, l’autre qui introduit Woody Harrelson en fils caché d’Yvette Horner et Ronald McDonald. Le message est clair : ce qui nous attend, c’est
encore plus de scènes brouillonnes, illisibles et vaines de monstres en CGI. On en
bâille d’avance – même si l’affrontement entre Venom et son double négatif
Carnage a donné lieu à quelques belles pages de comic books. Tout bien réfléchi, le match Mayweather/McGregor n’est pas un si mauvais programme.
Venom, Ruben Fleischer, 2018. Avec : Tom Hardy, Riz Ahmed, Michelle Williams, Reid Scott, Jenny Slate.
Et pour liker, commenter, réagir, l'aventure se poursuit par ici : Sitcom à la Maison !
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