Comédie US : 2014, année zéro ?

Faire du rangement sur son ordinateur, c'est un peu comme l'archéologie : on retrouve parfois des objets perdus et insolites. En témoigne ce papier, initialement publié sur l'aujourd'hui défunt site Waddup début 2015, et état des lieux de la comédie américaine de l'époque. Rendez-vous tout en bas pour mesurer le chemin parcouru. "On s'était dit rendez-vous dans 7 ans !"

Sortie fin 2013, la comédie C’est la fin marquait, sous couvert d’une intrigue de science-fiction, la fin d’une décennie prodigieuse pour un pan entier de la comédie américaine, entamée dès 2000 avec les belles séries Freaks & Geeks et Les Années campus, et représentée par toute une bande d’acteurs, révélations devenues valeurs sûres : Seth Rogen, Jason Segel, Jonah Hill… La sortie de C’est la fin marquait donc une étape pour ce crew : pour la première fois, ils se détachaient totalement de celui qui, pendant dix ans, fut leur père spirituel et leur maître à penser : Judd Apatow. Cet accomplissement promettait, à n’en pas douter, des lendemains qui chantent pour ceux que l’on appelle désormais la « Team Apatow ». Pourtant, une petite année déjà après cet envol, les poulains de cette écurie peinent à convaincre, auteurs pour la plupart en 2014 de films poussifs et paresseux. Ce relatif échec s’inscrit également dans le contexte d’une comédie américaine qui peine à renouveler ses figures. Bilan, analyse, auscultation : l’heure est aux comptes.

Une fois n’est pas coutume, commençons par les (rares) bonnes nouvelles. On s’éloigne d’emblée de Judd Apatow et ses disciples pour aller prendre quelques nouvelles des frères Farrelly, ex-rois du box-office US et représentants d’une certaine forme de comédie à la fois scatologique et tendre (Mary à tout prix), assez unique dans le patrimoine comique américain contemporain. Et cette année, leur nouveau cru s’appelait Dumb et Dumber De (sic). On pouvait craindre un retour embarrassant, un peu à la manière de ces vieux groupes de rock qui remontent sur scène par appât du gain, mais il n’en est rien. Si l’on peut difficilement parler d’un come-back (Jim Carrey et Jeff Daniels ne sont plus depuis longtemps des stars installées et ce film-là ne devrait guère inverser la tendance), le film vient confirmer, après Bon à Tirer et Les Trois Corniauds, de la bonne santé artistique des Farrelly Bros., plus vraiment dans le circuit mais toujours décidés à tracer leur bonhomme de chemin. On retiendra un gag, peut-être plus que les autres, symbolique du film : au début, Harry (Daniels) vient chercher Lloyd (Carrey) à l’hôpital psychiatrique, ce dernier y étant enfermé depuis vingt ans. Tout ceci ne se révèle finalement être un canular, un très très long canular – Lloyd étant en réalité sain d’esprit, du moins autant que possible. « Tu ne crois pas que ça aurait fonctionné si tu avais arrêté au bout de 10 ans ? » l’invective Harry. Et l’autre de répondre « Si, mais pas autant ! » Chez les Farrelly, le temps qui passe, les décennies, ne sont rien d’autre qu’une composante nécessaire à la réussite d’un gag. On ne s’étonnera donc pas de voir leurs personnages se complaire dans leur médiocrité et leurs films suspendus dans une sorte de bulle intemporelle, à la fois inoffensive et revigorante.

En ce qui concerne les réussites, même mineures, c’est à peu près tout. Tous les autres n‘auront, en cette année 2014, rien fait des espoirs que l’on avait pu placer en eux. Comme dans un jeu de vases communicants, celui qui est ou fut le plus beau symbole de l’accomplissement de la Team Apatow est également celui qui aura le plus déçu avec ses derniers films : ladies and gentlemen, Seth Rogen.

On avait laissé Rogen et tous ses potes dansant sur les Backstreet Boys au paradis à la fin de… C’est la fin. Déjà, à l’époque, tout cela cocottait la complaisance gentiment égotique et la paresse scénaristique. Le moins qu’on puisse dire, malheureusement, c’est que le succès du film n’a pas incité Rogen et ses complices (en tête desquels le scénariste Evan Goldberg) à changer leur fusil d’épaule. Du coup, Rogen & Goldberg ont remis ça avec Nos pires voisins, film de fac mou du genou et déjà vu, sur lequel on refusera de s’étendre et, pire encore, avec L’interview qui tue. On ne reviendra pas sur tout le pataquès médiatique périphérique au film (cyberattaques de Sony Pictures par des pirates informatiques supposément Nord-Coréens, entre autres joyeusetés), on ne dira que l’essentiel : que le film est un beau plantage. De ses bases satiriques a priori engageantes (pointer du doigt à la fois les régimes totalitaires, leurs chefs de guerre assoiffés de sang et les médias de masse qui font leur choux gras de ces dérives), le film ne fait rien ou presque, Rogen et Goldberg préférant bêtement régurgiter (vomir ?) la formule qui faisait le succès de Supergrave et Délire Express et qui a déjà beaucoup vieilli : des gags scato, sur fond de drogue, d’alcool et de filles à poil… Tout ça finit par donner l’impression méchamment tenace que le cinéma de Rogen et Goldberg fait du surplace, incapable d’évoluer un tant soit peu en dehors de ses basses préoccupations. À ce titre, on est à mille lieux d’un Judd Apatow (encore lui), pygmalion de Rogen et qui a su à travers les années et les films faire maturer son cinéma. Si l’on ajoute à l’affaire un James Franco que l’on n’avait pas vu aussi insupportable depuis longtemps, L’interview qui tue prend des allures de bon gros camouflet que l’on tentera d’oublier aussi vite et aussi fort que possible. Assez ironiquement d’ailleurs, l’intrigue du film (deux journalistes de caniveau sont persuadés de tenir le grand sujet de leur carrière en interviewant un dictateur) est assez représentatif de l’ambition de Seth Rogen et James Franco, comédiens doués se rêvant en nouveaux hommes-orchestres d’Hollywood.

Même écurie, autre poulain : 2014 voyait aussi la sortie de 22 Jump Street avec Jonah Hill, suite assez attendue d’un premier volet (21 Jump Street, donc) assez efficace et très drôle. Même son de cloche : paresse et facilité semblent être les maîtres-mots du scénario – la subtilité ayant visiblement été bannie de la salle d’écriture. Dès le début, le ton est donné : les deux héros branques sont sommés dans leur nouvelle enquête de faire « exactement la même chose » que la fois précédente… Déjà, dans son dénouement, le premier opus laissait dubitatif quant à son rapport au type de films auxquels il s’attaquait, ceux de Michael Bay et de tous les cinéastes-clippeurs d’Hollywood : les moquait-il ou tentait-il d’attirer leurs adeptes à peu de frais ? Le doute était permis. Plus maintenant, puisque l’indigence du scénario, qui recycle d’une façon très premier degré tous les clichés des campus américains (comme Nos pires voisins, justement), vient nous confirmer que ceci n’est bel et bien que du foutage de gueule. Jonah Hill et Channing Tatum font le job, visiblement contents d’être là mais les excuses à deux balles de Phil Lord et Chris Miller (« C’est nul mais c’est pour rire ») achèvent de les rapprocher d’un Robert Rodriguez période Machete. Pour faire simple : 22 Jump Street, c’est Last Action Hero, l’intelligence d’un John McTiernan et le charisme d’un Schwarzie en moins. Et le film de devenir précisément ce qu’il brocarde : une suite dispensable. Une de plus.

Et puisque l’on parle de suites inutiles, attardons-nous un peu, mais pas trop, promis, sur Comment tuer son boss 2, suite ratée d’un film déjà surcoté… Le premier film surfait allègrement sur la vague de comédies « adultes » (comprendre : vulgaires et fières de l’être) initiée par Very Bad Trip. Très logiquement, on se contente donc de reproduire ici le schéma de la trilogie de Todd Philips : donner au spectateur plus de ce qu’il avait aimé dans les précédents volets, mais surtout pas mieux. Après tout, pourquoi s’embêter ? Certains seront donc contents de retrouver les seconds rôles du premier volet (Kevin Spacey, Jennifer Aniston, Jamie Foxx) dont les apparitions semblent tomber comme un cheveu sur la soupe, tandis que les personnages nouvellement introduits (celui de Christoph Waltz en tête) ne font que passer. Mais le mal qui sied à ce Comment tuer son boss 2 (et tous les films faits du même bois) semble être plus profond. Il démontre surtout de l’incapacité de tout un pan d’un certain cinéma comique américain à se détacher et à voir au-delà de formes purement télévisuelles. Les trois acteurs principaux de Comment tuer son boss sont Jason Bateman, Jason Sudeikis et Charlie Day, trois comédiens révélés par des shows comiques (respectivement Arrested Development, Saturday Night Live et It’s always sunny in Philadelphia, trois des séries les plus drôles de leur époque). Le rôle imparti à ces comédiens dans ces films ne sont précisément que des copies carbone des rôles qui les ont rendu célèbres. Si l’on ajoute à ça une réalisation parfaitement transparente, il ne reste presque rien, ou en tout cas le pire : une cacophonie de tirades au sein de laquelle chacun semble vouloir tirer la couverture à lui. À voir des films scénarisés et réalisés avec les pieds (et pas ceux de Lionel Messi) comme celui-ci, pas étonnant que certains clament que les seuls projets un tant soit peu bien écrits ne se trouvent désormais qu’à la télévision, y compris en termes de comédie.

Et en 2022, on en est où ? On peut dire que les différents poulains ont effectivement connu des fortunes diverses. Contrairement aux propos acerbes tenus plus haut, c’est, ladies and gentlemen, Seth Rogen qui s’en sort le mieux, alternant entre gros rouge qui tache, principalement en tant que producteur télé (Preacher, The Boys, Black Monday) et beaux rôles asseyant sa crédibilité de comédien protéiforme, chez Danny Boyle ou bientôt Spielberg. Fort de deux nominations aux Oscar, Jonah Hill s’est lui imposé de plain-pied en acteur dramatique, pour Gus Van Sant, Harmony Korine ou les Coen Bros, et a même sauté le pas de la réalisation avec le sensible 90s. Et vous serez ravis d'apprendre qu'on a échappé à un cross-over entre les franchises 21 Jump Street et Men in Black (!). Quant à James Franco, il fait partie de ces puissants happés par l’ouragan MeToo, après plusieurs accusations d’harcèlement sexuel. Ses derniers films sont encore dans les limbes – même si, à Hollywood, les traversées du désert sont parfois des traversées de bac à sable. Eh oui, « le temps s’envole », et c’est bien à la fin du bal qu’on paie les musiciens !

Et pour poucer, commenter, réagir à un blog déjà actif en 2015 : Sitcom à la Maison !

Posts les plus consultés de ce blog

Sylvain Lefort, critique : "Marcello Mastroianni a construit toute sa carrière pour casser son image de latin lover"

Mission: Impossible - The Final Reckoning, entre le ciel et l'enfer

Reporters, conflit de canards