Confessions d'un Tom dangereux : Partie 1, Les trompettes de la renommée
Août 2015 : tout le monde ou presque attend de pied ferme Mission : Impossible – Rogue Nation, cinquième film adapté de la série télévisée 60s. Pas mal pour une franchise dont l’acteur-vedette (et principale force créative) fait souvent office de défouloir un peu facile dans une partie des médias et compte tenu du mépris grandissant à l’égard des suites et relectures en tout genre – que tout le monde se dépêche d’aller voir en masse, et c’est là le joli paradoxe. La raison à cela, c’est peut-être que la saga Mission : Impossible n’est pas une franchise comme les autres. Contrairement aux films Marvel ou Fast & Furious, deux des plus grosses franchises actuelles, elle ne sort pas de ses fourneaux un rendez-vous (pluri)annuel, et ne vient pas se rappeler à nous uniquement pour donner des nouvelles de ce cher Ethan Hunt. Au contraire, chaque film semble être une occasion de choix pour un réalisateur de talent, au style visuel tout personnel, pour exprimer son sens de la (dé)mesure. De Brian de Palma à Christopher McQuarrie, en passant par John Woo, J.J. Abrams et Brad Bird, tous ont leur propre patte, qu’elle eut été fignolée sur les plateaux de télé ou sur les bancs de Pixar. Et la liste de ceux qui ont touché du doigt la réalisation d’un épisode de la franchise est au moins aussi impressionnante : Sydney Pollack, Joe Carnahan ou David Fincher, rien que ça. Car si la saga a su se renouveler aussi bien à chaque film tout en conservant sa cohérence, c’est bien du fait de Cruise lui-même, obsessionnel du contrôle, perfectionniste et éternel angoissé. Et le succès global de la saga est même l’aboutissement d’une stratégie fomentée par l'acteur depuis le début de sa carrière.
Comme à peu près tous ses confrères débutants dans les années 80, Tom commence à aiguiser ses talents d’acteurs dans des films pour ados plus ou moins réussis, avec des rôles secondaires guère toujours marquants, dans Un amour infini, Taps, Outsiders, American Teenagers ou L’Esprit d’équipe. Une première fournée qui débouche sur l’excellent Risky Business, qui constitue avec La Folle Journée de Ferris Bueller, l’un des sommets du teen movie ricain tel qu’on le fabriquait dans les 80s. Dans ce film, il incarne le bien nommé Joel Goodson (le « bon fils ») qui, en l’absence de ses parents le temps d’un week-end, en profite pour perdre sa virginité avec une prostituée (la bouillante Rebecca de Mornay) et… mettre en place un système de maison close dans la demeure familiale ! Dans ce sommet de comédie racée et maligne, il révèle des talents d’acteur alors insoupçonnés. La métaphore au cœur de Risky Business est assez explicite : avec ce film, Cruise perd pleinement sa virginité cinématographique, impose d’ores et déjà un nez creux pour les coups de poker et se jette dans le grand bain. Désormais, le monde sait qu’il existe. Vu d’aujourd’hui, le contraste est d’ailleurs saisissant entre lui et ses anciens camarade de jeu : il a écrasé de la tête et des épaules toute concurrence, et ce depuis bien longtemps. Timothy Hutton, Emilio Estevez, C. Thomas Howell, Matt Dillon, Patrick Swayze, Rob Lowe, Ralph Macchio… Autant de talents autrefois prometteurs retombés dans des limbes cinématographiques plus ou moins profondes. Même le fameux Sean Penn, présent lui aussi Taps, semble actuellement sur la pente savonneuse.
Avec Legend de Ridley Scott, l'acteur amorce ce qui sera ensuite un motif récurrent de sa carrière et ce qui ressemble de près à une obsession personnelle : tourner avec des réalisateurs de talent, connus et reconnus, au risque peut-être d’éviter soigneusement de choisir de battre des sentiers moins empruntés. Pour autant, cela reste à ce moment-là une sorte de coup d’épée dans l’eau, un premier test qui ne donne pas suite. Il faut aussi préciser qu’à l’époque, le réalisateur de Blade Runner entame sa petite traversée du désert : après Legend, il tournera beaucoup mais ne connaîtra finalement que peu de succès avant de revenir par la grande porte avec Gladiator. Pourtant, Legend reste aujourd’hui encore une pellicule de qualité : le couple formé par Cruise et Mia Sara fonctionne très bien, et ce vieux cabot de Tim Curry compose un terrifiant démon d’anthologie. Legend annonce aussi, par sa maestria visuelle, un pan entier de l’heroic fantasy filmée qui connaîtra le rayonnement que l’on sait dans les années 2000.
C’est en fait aux côtés du frère
cadet de Ridley Scott, Tony, que Tom achèvera de s’imposer dans le paysage
cinématographique mondial (et le cœur en guimauve des jeunes filles en fleur),
avec le diptyque Top Gun/Jours de Tonnerre. (On ne s’étendra pas outre-mesure sur les
conditions de tournage du premier, quasiment devenues aussi mythiques que le
film lui-même : Scott viré à six ou sept reprises du poste de réalisateur,
les fêtes dantesques lancées après les journées de tournage…) Paradoxalement,
alors que ce sont précisément ces films-là qui aideront à faire de Cruise ce
qu’il est toujours aujourd’hui (avec les cachets mirobolants, le droit de
regard sur le produit fini, le star power
unique), en dépit de toutes les crises et controverses, Top Gun et Jours de Tonnerre ont redoutablement mal vieilli, sauf pour ceux
– et il y en a – qui ont des penchants prononcés pour le montage épileptique,
les personnages coulés dans la cire et les dialogues hérités des feuilletons
d’après-guerre. On ne donnera pas de noms mais on en connaît. A ce diptyque, on
peut ajouter le très naïf et très kitsch Cocktail,
prolongation éthylique de Top Gun,
dans lequel son personnage apprend la vie derrière un comptoir en préparant des
breuvages aux couleurs chamarrées et chatoyantes… Là encore, l’électroencéphalogramme
reste désespérément plat. C’est sûrement à cause de films comme ceux-là que
Cruise deviendra une cible favorite des autoproclamés gardiens du temple du bon
goût et des tristement célèbres Razzie Awards, parodie moyennement drôle des
Oscars.
Pourtant, pas fou, il s’entête dans ce qui est sans doute depuis toujours son plan initial : rôder ses talents auprès de réalisateurs confirmés. Après le décevant La Couleur de l’Argent de Scorsese, suite tardive et poussive du génial L’Arnaqueur, il sort Rain Man, attachante chronique familiale initialement prévue pour Spielberg (qu’il recroisera) et récupérée par Barry Levinson. Cruise y hérite du rôle pas facile du faire-valoir, du personnage « normal », presque fade, avant tout là pour servir de clown blanc aux facéties d’un auguste, joué par Dustin Hoffman, qui remporte pour l’occasion l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle (chargé) d’attardé mental. Si l’on connaît l’attirance, presque suspecte, de l’Académie pour ce genre de « performances » (sur le sujet, revoir Tonnerres sous les Tropiques), on ne peut que regretter que celle-ci ne se soit pas plus intéressé à celle de Cruise, presque effacée (le rôle l’exige), mais finalement subtile et très juste. Tom ne renonce pas pour autant à l’idée d’aveugler l’Académie de ses talents d’acteurs dramatiques. Lui aussi la veut, cette foutue statuette !
Dans Né un 4 juillet, récit du dur retour au pays d’un vétéran du
Vietnam, Tomtente le tout pour le tout : son personnage est
paraplégique, bedonnant, et doute des valeurs phare de son pays. On force le
traite volontairement : Né un 4
juillet est bien plus qu’une simple « bête de concours », dressée
pour drainer des prix dans son sillage. Le film est surtout la chronique d’un
enfer personnel, celle d’un homme qui ne
comprend plus le sort qui lui est réservé par une nation pas au clair avec ceux
qui ont sacrifié leur vie pour défendre cette sacro-sainte liberté sur laquelle
elle fut fondée. Des thèmes que Rambo
avait déjà brillamment abordés auparavant et repris ici. Las : l’Académie
ne le voit pas de cet œil-là et ne donnera à Cruise comme récompense qu’une
simple nomination, tout comme Ron Kovic (son personnage) ne récoltera de la
part d’un pays qui l’ignore qu’une collection de breloques sans valeur.
Il enchaîne ensuite sur une incartade sur les terres du cinéma de papa avec Horizons lointains, relecture (très) fantasmée de l’exode des immigrés irlandais vers la Terre d’Abondance. Si l’on passe sur les scories évidentes du film, à commencer par les défauts de représentation historique (le bouseux irlandais du XIXème siècle au sourire Ultrabrite) et les raccourcis scénaristiques, on peut éventuellement apprécier ce genre de bluette sentimentale convenue mais pas méchante – et on réitère : on en connaît qui aime ça…
Quoiqu’il en soit, on lui
préfèrera d’assez loin Des Hommes
d’Honneur, film de prétoire exemplaire et implacable mis en scène par le
remarquable Rob Reiner (Spinal Tap,
Stand by Me, Princess Bride et Quand Harry
rencontre Sally, c’est lui
aussi). Si Cruise assure dans le rôle d’un avocat militaire, il est
éclipsé (encore une fois) par un acteur de légende, Jack Nicholson, qui rejoue
là sans forcer son personnage de psychopathe courroucé… Forcément, les Oscars
préfèreront ça (encore une fois) à un jeu plus sobre. Mais c’est peut-être un mal pour un bien ; avec son film suivant, La Firme, Cruise va commencer
d’échafauder un véritable œuvre, faite de films très divers mais à la
cohérence incontestable. Le genre de cohérence qui existe dans le l’œuvre des
plus grands réalisateurs, mais que finalement peu d’acteurs peuvent revendiquer.
Avec La Firme, Tom Cruise aborde donc sa
deuxième partie de carrière. Mais ceci est une autre histoire. Une histoire passionnante.
Article initialement paru sur le défunt site Waddup en 2015.
Et pour poucer, commenter, réagir à un blog déjà actif en 2015 : Sitcom à la Maison !