Vin Diesel, une famille en or

Il y a cette jolie scène dans le sixième Fast & Furious, dans laquelle le vilain de service rappelle à l’inoxydable Dominic Toretto sa destinée : celle d’un chauffard mordu de tuning qui a commencé comme trafiquant de lecteurs DVD et qui traque désormais les cerveaux criminels les plus retors aux quatre coins du monde. Cette scène est amusante, d’abord parce qu’elle résume bien l’esprit de surenchère qui caractérise à chaque fois un peu plus la saga F&F, mais pas seulement. L’histoire de Dom Toretto est aussi, en filigrane, celle de son acteur principal, un acteur un peu galérien qui finit à la tête de l’une des plus grosses franchises de son époque.

Cette histoire, vous l’avez entendu mille fois : c’est celle du jeune comédien qui quitte son trou paumé natal pour aller tenter sa chance à Hollywood. Au mieux, cela nous donne une édifiante histoire d’outsider qui finit en biopic à Oscar. Au pire, cela se termine dans le porno. Le cas de Diesel ne fait pas exception : après un tout petit rôle dans L’Éveil (porté par l’un de ses modèles, Robert De Niro), il prend son destin en main et tourne le court-métrage Multi-Facial. Un film autobiographique, puisqu’il met en scène la difficulté d’un acteur métis, d’origine italienne et afro-américaine, à trouver un rôle au cinéma, puisque sa couleur de peau « ni trop claire, ni trop foncée » l’handicape dans sa capacité à décrocher des rôles volontairement marqués par leur couleur de peau. Ce thème du métissage, du mélange comme modèle de société, ne cessera d’influencer Diesel dans ses films – ceux qu’il interprète, réalise ou produit. À ce titre, la saga Fast & Furious, son magnum opus se fait parfaitement le reflet de cette obsession. Plus encore que dans n’importe quelle franchise hollywoodienne, les protagonistes viennent de tous horizons : Noirs, Latinos, Asiatiques, WASP, Samoan, personne n’est oublié. Bien sûr, les mauvaises langues diront que c’est fait dans le seul but de ratisser large, et d’être sûr que chaque catégorie sociodémographique se sente appelée par le film. C’est vrai, quoique les deux ne sont pas antinomiques ; désormais aux rennes créatives du poids lourd F&F, Vin a son mot à dire, et bien souvent, il cherche à imprimer sa marque sur ses films. Et la thématique récurrente qui trouve une certaine forme d’aboutissement dans la saga n’est pas anodine : il s’agit de la famille.



Après Multi-Facial, Vin poursuit son activité de réalisateur avec Strays, drame criminel sensible et lettre d’amour contrariée à New York. Strays sera projeté au festival de Sundance et l’acteur parviendra même à conclure un contrat avec MTV pour développer le film en série. Mais celle-ci ne verra jamais le jour : peu mais bien vu, Multi-Facial a tapé dans l’œil d’un jeune talent prometteur à qui l’on doit les méconnus Jurassic Park et La Liste de Schindler. Steven Spielberg voit en effet en l'acteur une énergie brute qui convient à son dernier film, Il faut sauver le soldat Ryan et écrit pour lui le rôle du soldat Caparzo. Forcément, décrocher un rôle de premier plan dans un film de ce calibre ne passe jamais inaperçu et Diesel est mis sur orbite. Peu après, il prête sa voix de baryton au Géant de fer dans le film d’animation du même nom. Il réitèrera plus tard l’expérience en doublant le personnage de Groot dans Les Gardiens de la Galaxie, personnage doté d’une seule réplique, mais pas n’importe laquelle : « I am Groot ».

Il enchaîne ensuite avec Les Initiés, désormais tombé dans un oubli certain. Et c’est bien dommage : avec Margin Call et Wall Street, il est probablement l’un des meilleurs portraits jamais brossés sur la bourse américaine et les requins qui la peuplent. Sec comme un coup de trique, le film ne manquait pourtant pas d’atouts : le jeune et talentueux Ben Younger derrière la caméra, Ben Affleck, Giovanni Ribisi et Nia Long devant. Alors, que s’est-il passé ? Le timing n’était sans doute pas bon : quand le film sort, la carrière d’Affleck pique du nez et Pitch Black, qui sort le même jour que Les Initiés, annonce le virage action que prendra bientôt la carrière de Diesel. Les Initiés donnent néanmoins une idée assez précise de l’acteur dramatique qu'il choisira de ne pas devenir.

Pitch Black, lui, annonce la couleur de ce qui caractérisera dès lors la carrière de Diesel : des franchises, beaucoup de franchises. S’il est un survival dépouillé tourné pour un petit budget, Pitch Black connaîtra trois ans après une suite nouveau-riche et boursouflée, Les Chroniques de Riddick. Il faut dire qu’entre temps, Vin a enregistré coup sur coup deux cartons au box-office, Fast & Furious et xXx, tous deux de Rob Cohen. Les deux sont difficilement regardables, aujourd’hui, quoique pas nécessairement pour les mêmes raisons ; les scènes d’action et les enjeux du premier Fast & Furious semblent dérisoires comparés à celles des films suivants, tandis que xXx est probablement l’un des films d’action les plus bruyants et agressifs de la décennie 2000, musique de Rammstein à l’appui. Parce que les scénarios ne lui plaisent pas, ou parce qu’il veut se faire désirer, Diesel déclinera les suites de ces deux films. Pourtant, ces franchises, il finira par y revenir : par la petite porte d’abord, via un caméo dans Tokyo Drift, puis par la grande, avec le succès que l’on connaît.



Ce caméo n’a d’ailleurs rien d’un hasard : il a consenti à venir faire coucou en échange des droits sur la franchise Riddick, qu’Universal lui recède. Cette fidélité aux franchises, aux marques à laquelle il doit son succès n’est pas anodine, puisqu’elle se fait le reflet la mentalité de Diesel en tant qu’acteur et homme d’affaires. Dans le cas de Riddick comme de Fast & Furious, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent : David Twohy et Justin Lin derrière la caméra, Karl Urban, Paul Walker, Tyrese Gibson, Ludacris, Michelle Rodriguez devant. C’est l’un des sujets récurrents de la saga F&F : la famille, de sang ou de cœur, sans qui on n’avance pas et à laquelle on revient toujours. La réplique est presque déjà culte, et a été reprise un peu partout : « Je n’ai pas d’amis, j’ai une famille », nous dit de façon grave et sentencieuse Vin.

La famille, donc. La thématique n’est jamais loin, sous toutes les coutures et avec des réussites parfois diverses. C’est sans doute, du moins c’est l’hypothèse la plus souhaitable, cet attachement qui explique ou justifie ses rôles dans des nanars certifiés comme Un homme à part ou Les Hommes de main. Dans le premier, il joue un flic coriace qui traque les assassins de son partenaire et meilleur ami (presque son frère), tandis que dans le second, il est un tueur au service de la mafia – depuis Le Parrain, on connaît l’importance des valeurs filiales pour les gangsters. La mafia, l'acteur y reviendra ensuite avec Jugez-moi coupable, du vétéran Sidney Lumet. En parrain sicilien qui assure sa propre défense lors de son procès et à qui la camorra a tourné le dos, il s’avère d’ailleurs subtil et juste, tantôt comique, tantôt plus grave, doté d’une bedaine que le transformiste De Niro n’aurait pas reniée.

On comprend mieux, aussi, ce qu’il vient faire dans Baby-Sittor, remake poussif d’Un flic à la maternelle. En le tournant, il perpétue la tradition de ses aïeuls Stallone et Schwarzenegger, qui avaient assez rapidement compris l’intérêt mercantile de diversifier leurs choix afin d’attirer un public plus familial. (The Rock en fera de même avec Fée malgré lui.) La comparaison avec Stallone et le Chêne autrichien est parlante : le parcours de Diesel évoque celui du premier (un acteur italo-américain ayant écrit ses propres films pour débuter à Hollywood) et celui de The Rock le second (un ex-sportif devenu star d’action naviguant entre péplum, actioners bourrins et films pour mouflets). Par certains aspects, on peut même dire que les élèves ont dépassé les maîtres : très vite, The Rock et Diesel comprendront l’intérêt de tourner des films ensemble plutôt que de la jouer guéguerre de clochers. Stallone et Schwarzy n’en prendront conscience que beaucoup plus tard, avec la médiocre série des Expendables. Rien cependant ne peut expliquer ce que l'acteur vient faire dans le désolant Babylon A.D. Son réalisateur, Mathieu Kassovitz désavouera purement et simplement le film, prenant la position idéale du réalisateur visionnaire atrophié dans ses ambitions par un acteur caractériel et des studios bornés. Trop facile.

Étrillé par la critique et ignoré par le public, Babylon bouche les perspectives de son acteur principal. De fait, c’est presque logiquement qu’il revient à ses anciennes amours : Fast & Furious 4, première suite de la franchise à réunir le casting original. À l’époque, cela sonne presque comme un baroud d’honneur, mais le succès du film incite les producteurs, malins, à continuer de battre le fer. C’est avec le film suivant, Fast Five, que l’ambition de Diesel en tant que force créative de la saga se dévoile : créer un univers qui rassemble tous les protagonistes, une équipe à laquelle chacun apporte sa pierre – une famille, quoi. La stratégie est payante : au même moment, Marvel Studios pose les fondations de ce qui deviendra le tout-puissant MCU et l’idée essaimera ailleurs. Logiquement, une telle surenchère dope les films et permet à la franchise de monter en puissance chaque fois un peu plus. Entretemps, Vin aura même eu le temps d’incarner une fois de plus Riddick, qui renoue dans le troisième volet avec l’ascèse et la simplicité qui faisaient la réussite du premier. Le personnage, dans une sorte d’autocritique bienvenue, rend compte de l’outrance de ses aventures passées (le deuxième film) qui l’ont éloigné de ce qu’il est réellement.

Fast & Furious 7 est lui d’ores et déjà historique, puisque c’est déjà le 5e plus gros succès de tous les temps, succès sans doute renforcé par la volonté du public de voir la façon dont le décès accidentel de Paul Walker avait été intégré au récit – curiosité malsaine, quand tu nous tiens…  De là, où aller ? Universal, pas folle, a commandé non pas un, mais trois autres films, une trilogie qui devrait, juré, craché, être la dernière. Le programme s’annonce sans doute prévisible, mais pas nécessairement ennuyeux : « la route est droite, mais la pente est forte ». On voit en tout cas mal ce qui pourrait empêcher cette nouvelle salve de films de faire carton plein, comme c’est le cas pour le prochain xXx. Diesel, lui, a décidé de varier les plaisirs : on le retrouvait récemment à l’affiche du calamiteux Le Dernier Chasseur de Sorcières, dans lequel il laisse s’exprimer le fan de Donjons et Dragons qui est en lui, et il tourne actuellement le drame de guerre Un jour dans la vie de Billy Lynn, mis en scène par le délicat Ang Lee. Son rôle dans Le Dernier Chasseur de Sorcières est presque symbolique : c’est la première fois qu’il joue dans un film live action (doublage exclu) qui n’appartient pas à une franchise depuis Babylon A.D, 7 ans plus tôt. Là encore, le succès, modeste mais réel, du film aurait incité le studio à mettre en chantier une trilogie. Pas de doute : la famille Vin Diesel a encore de beaux jours devant elle.

Article initialement paru sur le défunt site Waddup en 2015.

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