Donjons & Dragons : L'Honneur des voleurs, heaume sweet heaume
S’il fallait une preuve tangible –
une de plus – que l’industrie hollywoodienne a laissé les clés du camion à la
culture geek, ce pourrait être celle-ci : ce sont ceux qui jouaient hier
à Donjons & Dragons dans la série Freaks and Geeks (le co-réalisateur John Francis Daley) qui sont désormais aux commandes des blockbusters. Les
nerds d’hier sont devenus les rois du pétrole d’aujourd’hui. Avait-on vraiment
besoin, tout de suite maintenant incessamment sous peu d’une nouvelle
adaptation du célèbre jeu de plateau après deux tentatives oubliables et
oubliées ? Évidemment que non, mais là n’est plus la question, « ce bateau
a largué les amarres » comme on dit si bien là-bas. La question qui se
pose à présent à chaque spectateur, c’est de savoir quel bonne volonté et
quelle créativité seront insufflées à un projet aussi balisé.
De fait, sans jamais rien
chercher à réinventer quoi que ce soit, cet Honneur des voleurs s’en
tire… avec les honneurs. En faisant grosso modo la même chose que ses petits
camarades, certes, mais avec pas mal de cœur à l’ouvrage. Le cahier des charges
du blockbuster contemporain est en effet respecté à la lettre : cela passe
d’abord par des références plus ou moins appuyés aux films fantastiques et d’heroic
fantasy des années 80 : Krull, Legend, Willow,
ou les films de Jim Henson (Labyrinthe, Dark Crystal).
Une fois cette couche de références posée vient ensuite l’ironie post-moderne –
ce contrat tacite qui veut que le public a intégré et digéré ce jeu de clins
d’œil, et que l’on peut jouer sur l’intertextualité. Rien de trop subtil, sans
doute, mais sachons tout de même gré à Donjons et Dragons de
ne pas s’échouer comme d’autres adaptations avant lui (21 Jump Street, Chips)
dans ce triangle des Bermudes de la métafiction ; « Le matériau adapté
est nul, tout le monde le sait, mieux vaut en rire, mouahaha. » Cette
revisite-là a du respect pour le jeu qu’il adapte, et ça se sent. Autre signal
faible du blockbuster postmoderne : la subversion, pour ne pas dire
l’inversion, des genres. Ici, c’est l’affable et un peu falot Chris Pine qui
joue les bardes métrosexuels, tandis que la très badass Michelle Rodriguez –
pilier de la sévèrement burnée saga Fast & Furious – est
parée de toutes les qualités que le genre réserve d’habitude aux mecs. Avec, en
bout de ligne, une jolie variation sur la famille qui nous échoit à la
naissance et celle que l’on se choisit.
Ce film-là fait donc pareil que
plein d’autres, mais possède fort heureusement qui plus est une denrée raréfiée
dans ce genre d’objets : la sincérité, le bon esprit, et même ce que
certains esprits chagrins appelleraient la naïveté. Par certains moments, on
pense même, pour l’apologie des canards boiteux et l’esprit de corps, aux
fables pixariennes comme Toy Story ou Les
Indestructibles – pas mal, donc. Face aux ploutocrates du cinéma
hollywoodien qui commettent des Ant-Man et La Guêpe :
Quantumania et autres Shazam : La Rage des dieux,
on en redemanderait presque.