Le Secrets de Dumbledore : La Chute de la maison Potter ?

 

« Three is the magic number » scandaient, à la fin des années 80, les mythiques De La Soul. Au cinéma, pourtant, l’affirmation ne se vérifie pas toujours ; du Retour du Jedi à X-Men : L’Affrontement Final en passant par Le Parrain, 3e partie ou L’Arme Fatale 3, on ne compte plus les troisièmes volets qui ont contribué à endommager, voire à tuer une franchise. C’est d’autant plus embêtant quand ce volet-là n’est pas censé être le final mais une étape intermédiaire de plus dans le Gosplan d’un grand studio. Le plus récent (et sans doute pas le dernier) exemple en date : le numéro 3 de la saga Les Animaux Fantastiques (AF) (faisant elle-même partie du plus vaste « Wizarding World »), qui mord gentiment la poussière au box-office et suscite une indifférence polie à peu près partout où il passe. (A peine tout le monde s’accorde-t-il à dire qu’il est un peu moins superflu que le précédent film. Quand on en est rendu à ce genre d’arguments…). Pour la faire courte, on serait tenté de dire que plus grand monde ne se fout de ce qui se passe désormais dans l’univers Harry Potter. D’où la question qui se pose : comment en est-on arrivés là ? Surtout, en quoi cet acharnement d’un studio d’une part, et cette désaffection générale d’une autre, sont-ils symptomatiques de l’état actuel du cinéma de masse ?

Une bonne histoire

Le premier problème de la saga AF n’est finalement pas bien difficile à cerner. Ces deux monstres de cinoche qu’étaient Jean Gabin et John Ford s’accordaient sur au moins une chose : « Pour un bon scénario, il faut trois choses : une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire. »  Trois éléments que Les Animaux Fantastiques n’a pas : l'énergique Eddie Redmayne a beau s’agiter et se pavaner au milieu de bébêtes numériques rigolotes (d’où le titre), rien n’y fait, rien ne décolle jamais. Moins convaincant encore est cette volonté de revoir et corriger une histoire mondiale bien réelle par le prisme de la magie. De Bertolt Brecht à Éric Vuillard, de Fritz Lang à Bernardo Bertolucci, de Kazuo Ishiguro à Jason Lutes, nombreux sont ceux qui ont tenté de disséquer et comprendre l’avènement du fascisme en Europe. Voir le sujet réinterprété par un prisme tout à fait manichéen (sorciers vs Moldus, magie noire vs magie blanche) n'ajoute vraiment rien. En âcre cerise sur le gâteau, on ajoutera que le licenciement manu militari de l’infréquentable Johnny Depp et le bad buzz qui s’ensuivit n’auront rien arrangé aux affaires du studio Warner.

Un studio qui aura, dès le départ, surestimé la capacité de son public à s’intéresser à une saga comme AF, dont le programme un peu incongru est de faire du Harry Potter… sans Harry Potter. Car en dépit de ce que voudraient nous faire croire la Warner et J.K. Rowling, mère nourricière qui est la première à déboulonner l’œuvre de sa vie, Harry Potter, sur papier comme à l’écran, est une histoire terminée depuis bien longtemps. Qui commence dans un placard sous l’escalier pour s’achever sur un quai de gare. Un phénomène de société qui, quoi qu’on en pense, aura imprimé une empreinte durable dans la pop culture, en s’inspirant intelligemment de classiques de l’heroic fantasy pour mieux les moderniser, Le Seigneur des Anneaux et Le Monde de Narnia en tête. Tout le reste, qu’on parle de préquels ou de séquelles, tient au mieux du post-scriptum dispensable, au pire de la joyeuse trahison.

 « Un purgatoire de Moldu »

Surtout, se borner à proposer des films qui ne sont que des déclinaisons « hypertextes » d’une œuvre préexistante, c’est prendre le risque de s’adresser à une audience de plus en plus captive mais de moins en moins vaste. (Songez aux films Star Trek pré-J.J. Abrams. Essayez d’en mater un – et d'y entraver quelque chose – sans avoir vu les séries originelles.) Dans un article parlant publié dans le Hollywood Reporter intitulé « Les fans ont hérité de l’industrie du cinéma, et cela pose problème pour tous les autres », la journaliste Inkoo Kang résumait bien cet entre-soi et ce nombrilisme qui guette peu ou prou chaque saga ciné ou télé, en citant le cas précis des Animaux Fantastiques : « Ayant loupé le train Harry Potter, je suis coincée dans un purgatoire de Moldu, pas sûre de savoir ce qu’est la bièraubeurre mais pas motivée de regarder 8 films (ou de lire 7 livres) pour le savoir. […] A chaque nouveau film des Animaux Fantastiques, j’ai l’impression de passer un peu plus à côté d’une référence générationnelle. » Pour résumer sa thèse, Kang utilise même l’analogie explicite d’un « parc public devenu un club privé. » 

Et puis, franchement, qui a le temps d’aller voir 5 films étalés sur une décennie et surtout de s’en souvenir ? A l’heure où l’économie de l’attention est devenue le nerf de la guerre pour ceux qui créent du contenu consommable de tout crin, où le monde entier chope des escarres en restant le boule posé sur son canapé avec Netflix en perfusion (en vitesse x 1.5, beurk !), plus personne n’a vraiment de temps à consacrer à une telle œuvre au long cours, bonne ou mauvaise. Pour durer, mieux vaut remettre les compteurs à zéro à chaque film (comme Fast & Furious ou Mission : Impossible) ou de bâtir une franchise fonctionnant comme une anthologie, faite de projets divers et se souciant de moins en moins de sa cohérence – c’est le cas du fameux Marvel Cinematic Universe. Warner s’en rend compte, mais un peu tard, puisqu’elle se tâte aujourd’hui de changer son fusil d’épaule et à jeter les prochains films prévus avec l’eau du bain, pour mettre en branle à la place une série télé située dans le même univers, diffusée sur HBO Max, plateforme maison dont l’objectif affiché est de concurrencer… Netflix, désormais assaillie de toutes parts. Un futur qui s’écrira peut-être sans Rowling, plus vraiment en odeur de sainteté après quelques commentaires pas bien malins sur les personnes trans. Lesquels sont d’autant plus regrettables qu’elles vont à l’encontre de la volonté de l’auteure de montrer une romance homosexuelle, assumée comme telle - une première après quelques timides tentatives. Le bad buzz est roi, encore et toujours... Que le ton vaguement goguenard de ce papelard ne vous abuse pas pour autant : il n’est jamais réjouissant de voir une saga autrefois grande s’en aller par la toute petite porte. 

Les Animaux Fantastiques : Les Secrets de Dumbledore (Fantastic Beasts : The Secrets of Dumbledore), David Yates, 2022. Avec : Eddie Redmayne, Jude Law, Mads Mikkelsen, Jessica Williams, Callum Turner.

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