Obi-Wan Kenobi, mise à mort de la vache sacrée

 


Un vieil adage prétend que c’est à la fin du bal que l’on paye les musiciens. La franchise Star Wars n’a pas encore fini de chanter, mais aventurons-nous tout de même à compter les biftons. Depuis le rachat de Lucasfilm par Disney en 2012, la saga oscille ainsi entre deux tendances : celle de faire mumuse avec des personnages créés ex nihilo, et celle de mettre en scène les grandes figures patrimoniales de jadis. Là où la première convainc cahin-caha – voir la très réussie The Mandalorian –, la seconde fait un peu peine à voir. Mais est-ce vraiment une coïncidence ? Trimballer de gauche à droite un troisième couteau propulsé héros du jour comme Cassian Andor, c’est une chose. Vouloir raconter ce que le bon Obi-Wan Kenobi a bien pu faire entre les épisodes III et IV, c’est tout de suite beaucoup plus casse-gueule. Ce qu’on avait déjà peu ou prou écrit à la sortie du film consacré à Han Solo : « donner des origines satisfaisantes à un personnage aussi culte [est] une idée proprement suicidaire. »  Cela « finirait par tenir de l’acharnement même plus thérapeutique » , disait-on également – formule qui s’applique aussi, hélas, à cette mini-série.

John Ford et Le Muppet Show

L’incongruité de son postulat tient probablement au personnage d’Obi-Wan lui-même. Car, dans Star Wars, Kenobi est avant tout un mentor, d’abord pour Anakin, qu’il aide à précipiter bien malgré lui vers le côté obscur, puis de Luke. Une figure tutélaire révérée et idéalisée, un père de substitution, nécessaire au parcours du héros tel qu’il fut théorisé par Joseph Campbell, et interprétée à ses débuts par l’un des tauliers du cinéma anglais, Sir Alec Guinness. (A l’origine, George Lucas voulait confier le rôle à Toshirō Mifune, acteur japonais guère moins prestigieux.) C’est sans doute pourquoi faire d’Obi-Wan un tonton-gâteau bondissant de planète en planète pour sauver la veuve et l’orphelin ne fonctionne vraiment pas. Tout le reste est à l’avenant : script emprunté à une quête vidéoludique de troisième ordre, mise en scène poussive, effets spéciaux bâclés… Il faudra un jour nous expliquer pourquoi, dans un univers qui compte tant de corps célestes chamarrés et chatoyants, on s'entête à filmer autant de couloirs monochromes. Sans même parler d'un affrontement entre Kenobi et Vador, qui est à l'épique bataille de La Revanche des Sith ce que Domino's Pizza est à la cuisine italienne traditionnelle. Pire encore, tout l’argument de la série (sauver Leia, devenue ici un croisement du kawaï Grogu et de l’effrontée Eleven de Stranger Things) n’est que du vent : rien ne peut lui arriver de grave, puisque c’est elle l’héroïne de demain !



L’échec d’Obi-Wan Kenobi est tel, à vrai dire, qu’il en vient à entacher tous les films qui l’ont précédé. Est-ce que ça a toujours ressemblé à ça ? Est-ce que c’était mieux avant, ou bien ça a toujours ressemblé à un mix disgracieux entre John Ford (pour les figures archétypales et le désert à perte de vue) et Le Muppet Show (pour la galerie de marionnettes), et je viens tout juste de m’en rendre compte ?

Avant l’arthrite

Des questions douloureuses, à n’en pas douter, qui peinent à en camoufler une autre, plus profonde et plus grave : Disney en a-t-il encore quelque chose à carrer de cette saga ? Le vaisseau-mère Star Wars, c’est un peu comme la réforme des retraites si chère au cœur d’Emmanuel Macron : personne n’y comprend plus rien, même ceux qui en sont les promoteurs, et le peu de nouvelles qu’on reçoit d’eux ne sont pas franchement rassurantes. Le studio aux grandes oreilles jette bien, çà et là, des projets de films et de séries – qui finissent souvent par capoter – pour rassurer les actionnaires conservateurs et des fanboys qui ne le sont pas moins. Mais le cœur n’y est plus vraiment ; le but n’est plus tant de raconter de belles histoires que de faire du présentéisme, d’occuper désespérément le terrain et balancer du contenu sur la plateforme maison pour survivre dans une industrie très concurrentielle. De justifier coûte que coûte la survie d’une saga qui aurait dû ranger les sabres il y a déjà un bail, d'autant plus que l'ogre Disney a depuis son rachat de la Fox plein d'autres juteux joujoux en plus de la galaxie lointaine. Star Wars bouge encore, certes, mais que l’on ne s’y trompe pas : il pourrait bien s’agir là des derniers soubresauts d’une bête agonisante.

Obi-Wan Kenobi, Deborah Chow, 2022. Avec : Ewan McGregor, Vivien Lyra Blair, Moses Ingram, Hayden Christensen, Rupert Friend.

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