Le Wold Newton, un cross-over pour les gouverner tous

Le film Sherlock Holmes attaque l'Orient-Express, dans lequel Holmes et Watson rencontraient un docteur viennois nommé... Freud.

Voilà un univers partagé qui mouche à peu près tous les autres. Né de la plume du romancier Philip José Farmer à la fin des années 70, étendu et poursuivi par quelques disciples besogneux, il ne devrait toutefois jamais voir le jour sur grand écran – quand bien même Hollywood raffolerait désormais de ce genre de rencontres au sommet – tant les ayant droits à se mettre dans la poche seraient nombreux. Il regroupe, excusez du peu, Tarzan, Sherlock Holmes et sa némésis Moriarty, Phileas Fogg, Arsène Lupin et même James Bond. Le nom que porte cette liste prestigieuse : le Wold Newton.

En décembre 1795, une météorite s’écrase près du village de Wold Newton, en Angleterre. Non loin de ce point de chute, deux calèches passent avec, à leurs bords, les futurs géniteurs des surhommes des deux siècles à venir. C’est que la météorite engendre des mutations génétiques chez ceux qu’elle irradie, et fera de leurs enfants des personnes dotées de capacités – intellectuelles et physiques – exceptionnelles, qu’elles s’en servent pour faire le bien ou le mal. Partant de cela, P.J. Farmer va broder pour construire un univers où il fera intervenir tous les personnages de la littérature populaire qu’il affectionne. Certains d’entre eux, comme Holmes ou Lupin, sont désormais entrés dans notre mémoire collective et connaissent depuis un siècle des succès ininterrompus et des tombereaux d’adaptations plus ou moins fidèles. Certains, en revanche, sont oubliés de tous à l’exception des fins connaisseurs ; qui, aujourd’hui, se souvient des détectives Bulldog Drummond ou Nero Wolfe ?

Chez Farmer, ces récits se suivent, s’enchevêtrent et résonnent en écho à travers les siècles. Prenons l’exemple de ce héros se faisant passer pour un joyeux drille gentiment inconséquent pour mieux surprendre et pourfendre les faquins qui menacent sa ville. Vêtu d’un masque, il marque ses passages d’un signe distinctif auquel il doit son nom. Zorro ? Batman ? Que nenni : Le Mouron rouge, né de la plume de la baronne Orczy en… 1905 ! C’est ce qu’il y a de ludique, de jubilatoire dans l’œuvre de Farmer : tirer le fil d’Ariane du récit populaire et ses divers avatars – roman policier ou fantastique, histoires super-héroïques – pour y déceler ce qui les réunit. En cela, le romancier fait par le biais de la fiction ce qu’Umberto Eco avait fait par l’analyse dans son essai De Superman au surhomme. En partant d’une obscure citation d’Antonio Gramsci à propos d’Alexandre Dumas – « Une grande partie de la soi-disant "surhumanité" nietzschéenne a simplement pour origine et pour modèle doctrinal non pas Zarathoustra mais Le Comte de Monte-Cristo » –, Eco démont(r)e les ressorts du roman populaire et des héros qui l’animent, peu ou prou les mêmes que ceux qui peuplent le Wold Newton.

Philip José Farmer est mort en 2009 mais son invention a depuis été reprise et étendue par d’autres exégètes un peu partout. Aux États-Unis, l’auteur Jess Nevins fait entrer dans le canon newtonien (copieux arbres généalogiques à l’appui) Ivanhoé, Orlando de Virginia Woolf, l’Amérindien Winnetou ou John Carter. La France n’est pas en reste puisque  selon le bédéaste Jean-Marc Lofficier , Quasimodo, Cyrano de Bergerac, Rocambole ou Nestor Burma peuvent également être apparentés à cette grande et belle famille. Plonger dans cette tentaculaire revisite du roman populaire, c’est mettre au jour une gigantesque conspiration sur nos origines, qui court depuis la nuit des temps jusqu’au futur lointain – un peu comme les Illuminati (en plus fun) ou les platistes (en moins con). Et la fameuse Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore (déclinée au cinéma dans un film décrié mais tout à fait regardable) doit également beaucoup, de l’aveu même de son auteur, au Wold Newton ; les deux œuvres partagent même un Allan Quatermain. À propos de ce besoin, quasiment ontologique, de se raconter de belles fables pour comprendre d’où l’on vient, l’immortelle Joan Didion disait très justement que « nous nous racontons des histoires afin de vivre… »

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