Une nuit au musée : comment sont nés les "blockbusters patrimoniaux" ?
Lorsqu’ils fondèrent en 1923 leurs sociétés respectives, Walt Disney et les quatre frères Warner (Jack,
Autocongratulation
Jusqu’à présent, en matière de cinéma, cette notion de patrimoine se manifestait principalement via les produits dérivés. Qu’il s’agisse d’attractions (parfois adaptées en films), de poupées ou de t-shirts, il est après tout de bonne guerre de vouloir tirer sur la vache à lait longtemps après la sortie d’un film. D’autant qu’on sait depuis la jurisprudence Star Wars que lesdits produits connexes peuvent rapporter beaucoup, beaucoup plus que le box-office et faire pénétrer un univers dans la culture populaire. Là où c’est plus embêtant, en revanche, c’est quand l’exploitation patrimoniale devient le moteur de l’histoire elle-même – en gros quand un studio s’auto-pille, à la fois par paresse créative et volonté de rassasier une audience accro à la nostalgie facile. De fait, on voit émerger depuis quelques années un nouveau type de longs-métrages : ce que l’on pourrait qualifier de « blockbusters patrimoniaux », dont les prototypes nous proviennent justement de Warner et Disney.
Le principe de l'univers étendu, déjà, avait largement élargi le champ des possibles de ce que l’on pouvait faire dans un blockbuster. En reprenant un modus operandi déjà usité dans les comic books, les studios ont fait communier tous les héros d’un même univers dans des films aux allures de buffets à volonté – appelons ça le syndrome Avengers. Mais ce qui marchait ici ne fonctionne plus là : dans sa critique de Jurassic World : Le Monde d’après, Bilge Eribi, critique pour Vulture, rappelait bien les limites de l’exercice : « C’est évidemment un plaisir de voir Dern, Neill et Goldblum [les héros de la trilogie originelle] rejouer ces personnages, mais ce serait encore mieux si le scénario leur donnait des dialogues bien écrits ou les mettait dans des situations intéressantes. Un des symptômes du paysage pop-culturel actuel et sa nostalgie à tout prix est que trop souvent les réalisateurs croient qu’il suffit de faire revenir des visages familiers. » Un des « sommets » de ce genre de pratique était sans aucun doute Spider-Man : No Way Home, qui réunissait, en sus du Spider-Man actuel, ses deux précédentes incarnations filmiques.
Mais de vouloir « le
monde ou rien », comme on dit dans le 91, n'est désormais plus suffisant pour Hollywood. D’organiser des réunions d’anciens élèves ne va plus
assez loin ; il faut désormais que tous les univers et les
personnages maison répondent à l’appel. Le premier film à tirer ce fil fut en
2017 Lego Batman, le film. Optant pour une approche délibérément
parodique du justicier de Gotham City, le long-métrage d’animation déroule dans
son final carnavalesque un vrai panégyrique à l’histoire de Warner Bros. :
en plus des ennemis classiques de Batman (Catwoman, Double-Face, Mr. Freeze),
on y croise, sens dessus dessous, Sauron, la Méchante Sorcière de l’ouest,
Voldemort, King Kong et les Daleks de Doctor Who. Manque plus que l’adresse
du site de WB pour acheter tout ça en Blu-ray ! Très logiquement, la concurrence ne
se laisserait pas devancer et Disney dégaina en 2019 Ralph 2.0.
Prétextant un argument de départ (le personnage éponyme casse les Internets)
assez mince pour ratisser large, la Maison de Mickey fait elle aussi défiler
une brochette de vedettes, historiques (Belle, Blanche-Neige, Aurore, Buzz
l’éclair…) ou plus récemment acquises (C-3PO, Groot).
Jusqu’au bout des mondes
Peut-être en réaction à cette contre-attaque de Disney, Warner osera deux ans plus tard l’arme absolue, le AK-47 cinématographique, le blockbuster patrimonial pour les gouverner tous : Space Jam 2, opportunément sous-titré Un nouvel héritage en anglais. Suite tardive au film avec Michael Jordan, cette séquelle exhibe les Looney Tunes que l’on connaît, tous les méchants déjà présents dans Lego Batman, et des tonnes de caméos incongrus, tirés de Game of Thrones, Mad Max, Matrix, Austin Powers, Rick & Morty, Beetlejuice, Charlie et la Chocolaterie sans oublier… Orange Mécanique. (Kubrick s’en est probablement retourné dans sa tombe.) Pour une fois, critique comme public font la moue et voient le film pour ce qu’il est : du placement de produits, ni plus ni moins. Une tartufferie qui cache piteusement sa banqueroute créative derrière les excuses de « divertissement » et de « cinéma populaire ». Tâchons de ne pas tomber dans le panneau : le cinéma populaire, le vrai, n’a jamais craint, de John Ford à Spielberg, d’Hitchcock à Verhoeven, de défricher sans jamais perdre de vue l’idée de s’adresser à tous. D’aucuns nous diront que Space Jam n’a certes pas inventé grand-chose, qu’il ne s’agit là que d’un simple upgrade 2.0 de Qui veut la peau de Roger Rabbit. En réalité, ça n’a rien à voir : dans Roger Rabbit – comme dans tous ses films – Zemeckis ne se laissait jamais engloutir par la technique, aussi innovante (live action et animation faisant jeu égal pour la première fois) soit-elle. Et mettait ces moyens au service de l’histoire et des personnages, pas l’inverse. Dans Space Jam 2, il ne reste que ça, la technique, et tout le reste a plié les gaules. Dès lors, la question qui se pose est presque d’ordre éthique : bien sûr, les colossaux catalogues acquis par Warner et Disney leur fournissent aujourd’hui des terrains de jeu superposables et remixables à l’infini ; mais ces majors devraient-elles réellement succomber à cette tentation ?
Les derniers avatars des blockbusters
patrimoniaux, Tic et Tac, les rangers du risque (toujours chez Disney) et Super Mario
Bros, le film (joint venture entre Universal, Illumination et Nintendo) ont été un peu mieux accueillis – signe, peut-être, d’une
relative maturité du genre. L’autre option n’est pas la plus souhaitable : et
si, en tant que public, on s’était habitués à ce nouveau paradigme, à cette satisfaction
immédiate et cette « prime à l’adoration » que l’on gagne quand on identifie
une référence cachée dans un plan d’une demi-seconde ? Signe des temps – et
de la conglomératisation de l’industrie hollywoodienne – on retrouve désormais des
traces de cette tendance dans des œuvres à mille lieues du blockbuster : dans
la dernière saison de sa mirifique série Atlanta, diffusée sur FX, Donald Glover racontait
la genèse du « film le plus noir de l’histoire », Dingo et Max –
tout cela avec l’accord bienveillant de la maison-mère-suffisamment-bonne Disney, qui a évidemment tout intérêt encourager ce genre de pratiques. Comme on disait fut un temps en caf'conc' : « parlez-moi de moi, y a que ça qui m'intéresse ! »
Et pour poucer, commenter, réagir à un chouette blog : Sitcom à la Maison !