The Marvels, trois fois rien

 


Sic transit gloria mundi, comme le dit un fameux adage vaticanais. Ce qui était hier n’est pas toujours destiné à rester ; est-ce là ce qui attend le Marvel Cinematic Universe (MCU), bac à sable dans lequel font joujou tous les super-héros Disney et cador du box-office depuis ses débuts il y a quinze ans ? La question est légitime au vu de l’accueil timide réservé à The Marvels, son dernier volet. Certes, les beaux succès rencontrés cette année par Black Panther : Wakanda Forever et Les Gardiens de la Galaxie, Vol. 3 doivent nous inciter à ne pas jeter l’eau du bain tout de suite. Mais, quelques mois après celui de l’infect Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, le bide de The Marvels ne tient pas uniquement de la sortie de route, et laisse à penser que la vision stratégique de la firme a du plomb dans l’aile…

Trois filles et un djinn

Cette vision, finalement, tient à peu de choses : dans cet univers, une suite n’est jamais uniquement une suite, mais aussi et surtout une transition, une jonction perpétuelle entre deux œuvres – ciné ou télé. Par exemple, si ce film-là ne s’appelle pas Captain Marvel 2, c’est parce qu’il n’est pas seulement la séquelle de Captain Marvel, sorti en 2019, et prolonge aussi les événements survenus dans les mini-séries (diffusées sur la plateforme Disney+) WandaVision et Miss Marvel, lesquels introduisaient donc deux comparses à cette super-héroïne. Vous n’avez jamais entendu parler de ces séries, ou n’avez pas spécialement envie de vous coltiner douze – inégales – heures de télé avant d’aller voir un film de 1 h 45, sans même parler des aventures initiales des Avengers, les Beatles du combat contre le crime pour Captain Marvel travaille au noir ? C’est bien là la principale limite de la méthode Marvel, dont le public se divise désormais en deux factions bientôt irréconciliables : ceux qui visionnent fidèlement – voire servilement – tout ce que la Maison de Mickey diffuse, et les autres, de plus en plus nombreux, paniqués ou soulés à l’idée de devoir se farcir des tonnes de « contenus » pour apprécier les tenants et aboutissants d’un simple long-métrage.

Le problème, c’est que ce schisme du public ne colle pas vraiment avec les prérogatives d’un blockbuster à grand spectacle (et gros budget) comme The Marvels. D’où, sans doute, ce grand verre d'eau tiède, qui veut s’adresser à tout le monde et finit par ne s’adresser à plus personne. C’est particulièrement criant dans les dialogues du film, qui constitueront pour certains de simples « Précédemment dans… » et resteront cryptiques pour tous les autres. La traditionnelle scène post-générique participe du même geste, en ressuscitant grâce au fameux et fumeux « multivers » les héros d’hier et d’avant-hier – en l’occurrence le Fauve, un personnage (mineur, voire fond de tiroir) de l’univers X-Men jadis chapeautée par la Fox, studio passé sous fanion disneyen en 2017. Vous n’avez pas vu cette saga-là non plus, débutée il y a 25 ans et riche de 13 films ? Vous pourriez y mettre un peu du vôtre, enfin !

 

 

Tout dans The Marvels est-il à mettre au rebut ? Certes pas : l’alchimie entre les trois actrices (Brie Larson, Teyonah Parris, Iman Vellani) fait tourner la boutique, même si les scènes qu’elles partagent finissent par ressembler, au mieux à une version super-héroïque des séries Girls ou Insecure, au pire à une nouvelle adaptation de Quatre filles et un jean. Un programme qui en dit assez long sur le type de longs-métrages que la firme produit à présent : de longuets épisodes de sitcoms, avec des clins d’œil appuyés (ici à la comédie musicale Cats), très peu d’enjeux et quasiment zéro ambition cinématographique. Même la meilleure idée du film (on découvre que Captain Marvel est princesse d’une planète où l’on ne s’exprime qu’en chantant) fait long feu et tire sans forcer sur la corde d’un fameux épisode de Buffy diffusé il y a plus de vingt ans. S’il fallait vraiment chercher l’héritage du MCU à Hollywood, ce pourrait être celui-ci : désormais, les frontières – esthétiques, narratives, dans les canaux de diffusion – entre cinéma et télévision n’existent plus ; ne reste plus qu’un torrent sans fin de milliers d’heures audiovisuelles constituant de purs produits d’appel pour la plateforme SVOD maison. Comment s’étonner, dès lors, que les spectateurs ne se déplacent plus en salle ?

Ânes de Buridan

Bien malgré lui, le MCU illustre à merveille ce que l’auteur Bruno Patino appelait récemment la « submersion » numérique dans un ouvrage éponyme. Son postulat est simple : depuis une vingtaine d’années – depuis l’avènement des consommations culturelles numériques, en somme – le nombre d’œuvres disponibles (à l'écoute, à la lecture, au visionnage…) a explosé quand le nombre de consommateurs est resté le même. Conséquence directe de cela : le paradoxe du choix. Incapables de choisir entre deux téléfilms de Noël ou deux séries true crime, les spectateurs que nous sommes finissent par ne rien regarder, restant là comme des ânes de Buridan, ou à regarder ce qui nous intéresse à peine. Toujours selon Patino, « l’abondance était une promesse, elle est devenue un problème. » De fait, si le MCU finit par mordre la poussière, ce ne sera peut-être pas uniquement dû à la qualité déclinante (avérée) de ses films ; peut-être s’effondrera-t-il sous le poids de ses propres rêves léviathaniques.

 

 

À l’heure où l’on écrit ces lignes, les rumeurs vont bon train sur de putatifs changements de braquets entrepris au sein de l’univers ciné Marvel, comme celui de faire revenir les Vengeurs d’origine, pourtant trépassés. Les raisons évoquées à ces changements ne manquent pas : insatisfaction croissante du public et de la critique, démêlés judiciaire de l’acteur Jonathan Majors (pourtant censé devenir le boss de fin des prochains films Avengers) ou, plus globalement, « fatigue super-héroïque », dont on nous rebat les oreilles depuis des années, sans toutefois que les super-slips prennent moins de place dans le zeitgeist… Et, même si ça n’a l’air de rien, la Maison aux Grandes Oreilles a récemment annoncé la création d’un label « Spotlight », censé mettre en avant des récits (longs-métrages ou mini-séries) autonomes, détachés de tout lien avec d’autres œuvres du même canon. Grosso modo, des histoires avec un début, un milieu, une fin ; les fondamentaux de tout récit, de cinéma ou pas, tel qu’on le conçoit – avec une certaine réussite – depuis la nuit des temps. Ce « New Marvel » (comme on parlait naguère du « New Coke ») épanchera-t-il la soif des binge drinkers de contenus que nous sommes devenus ? Si l’on veut inciter les gens à retourner au cinéma, cet endroit supposément « humide, malodorant et graisseux » brocardé par David Fincher, il faudra en tout cas de plus solides arguments que The Marvels.

The Marvels, Nia DaCosta, 2023. Avec : Brie Larson, Teyonah Parris, Iman Vellani, Samuel L. Jackson, Zawe Ashton.

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