WandaVision, sitcom à la maison

Jusqu’ici, le Marvel Cinematic Universe, c’était plutôt simple à comprendre : Iron Man, Captain America & co affrontent des méchants aux intentions autocratiques interchangeables puis, par désaccord ou par désoeuvrement, s’affrontent les uns les autres, tout en restant globalement dans les clous de ce qu’on attend d’un blockbuster au XXIe siècle : beaucoup de destruction et de chaos générés par ordinateur. Mais, récemment, ça s’intensifie gentiment : disposant du service de SVOD piloté par la maison-mère (Disney+) et pouvant compter sur une foule en liesse toujours fidèle (servile, diront certains), le MCU s’autorise à investir les longues heures du format sériel pour prendre des chemins de traverse, s’attarder sur des détails peu ou pas abordés avant et prendre des risques sur le fond comme sur la forme. Premier objet diffusé et disserté : WandaVision, récit bizarroïde et barré d’une famille pas comme les autres, qui se lit aussi comme une histoire de la sitcom en accéléré, et a fortiori l'un de ses sous-genres les plus fertiles : la sitcom familiale. Comme on est féru du genre (voir le titre de ce blog. Et de cet article !), on n’a pas su résister à l’idée de se pencher dessus, voire d’y tomber joyeusement la tête la première…

Foyer, doux foyer

WandaVision commence dans les années 50, décennie qui vit naître la sitcom à la télévision. Rapidement, les éléments immuables qui lui seront propres durant quelques décennies se mettent en place : comique de situation souvent basé sur des quiproquos ou dialogues de sourds (et en cela directement inspiré du théâtre de boulevard), format court (des épisodes de 22 minutes, portés à 30 en comptant les coupures pub), tournage effectué devant un public (plus ou moins sincèrement) hilare. A l’époque, les intrigues sont essentiellement domestiques, en ce sens qu’elles tournent autour (et sont tournées au sein) du « foyer, doux foyer », souvent une maison cossue au jardin verdoyant située dans une banlieue proprette et disposant d’un vaste salon (pour loger les caméras, pardi !) au centre duquel figure un inoxydable et confortable canapé. Le modèle familial mis en avant est celui de la famille nucléaire traditionnelle, c’est-à-dire hétéro, principalement blanche, propre sur elle, où Monsieur travaille et où Madame reste aux fourneaux. Parmi les séries-phares de cette ère, citons The Dick Van Dyke Show et I Love Lucy ; deux des sitcoms de l’époque les plus brillantes et les plus novatrices, ayant fait oublier des litanies de titres moins essentiels. 

 

C’est d’abord sur ce décalage que joue WandaVision lors de ses premiers épisodes. Deux Avengers, deux êtres surhumains aux pouvoirs presque illimités propulsés dans une sitcom vintage, vraiment ? C’est trop beau, trop gros, pour être vrai, et cela ne s’avérera effectivement ni très beau ni très vrai. Par un de ces tours de passe-passe spatio-temporels dont la saga raffole, WandaVision embraye sur un pastiche fidèle des sitcoms familiales des années 70. A l’orée de la décennie, le genre se met à la page des changements sociétaux de l’époque : on voit apparaître des séries mettant en scène des familles noires et des couples interraciaux (The Jeffersons, Sanford and Son), les femmes délaissent la cuisine pour s’assumer financièrement sans besoin de personne (Maude, The Mary Tyler Moore Show, dont l’actrice éponyme jouait Madame dans… The Dick Van Dyke Show), les parents réac’ et les jeunes baba cool (et futurs boomers) rejouent la lutte des classes sur le sofa du salon (All in the Family). Surtout, le sacro-saint foyer est désormais à géométrie variable, puisqu’on y représente des familles monoparentales ou recomposées – même si quelques tabous subsistent encore : représenter une maisonnée homoparentale est alors inenvisageable dans un programme diffusé sur une chaîne grand public. Une évolution des mœurs suivie par WandaVision, qui introduit le personnage de l’Afro-Américaine Monica Rambeau et montre son couple-titre passer par des hauts et des bas pour avoir un enfant ; intrigues qui n’auraient pas dépareillé à l’époque.

Un épisode très spécial

Les années 80 et 90 achèveront d’élargir le champ des possibles de la sitcom familiale en restant très classiques sur la forme. Dans Mariés, deux enfants, Al et Peg Bundy sont des parents indignes, guère aidés par des rejetons idiots et libidineux. Dans Roseanne, les darons sont en surpoids et courent après les petits boulots dans l’Amérique de Reagan-Bush. Le (aujourd’hui difficilement regardable) Cosby Show est, quant à lui, une date dans l’histoire de la sitcom noire. Car si l’on a longtemps reproché à Bill Cosby de n’aborder pas frontalement des thématiques liées aux Afro-Américains, c’est justement un parti-pris : que la famille Huxtable soit noire ou pas ne compte finalement plus tant que ça, elle est simplement une famille qui a réussi socialement, 20 ans avant Barack Obama et le fantasme d’une Amérique « post-raciale ».  Comme dans WandaVision, la vision donnée de la famille est un peu peu moins idéalisée et plus réaliste mais le genre a alors encore du mal à se départir d’une certaine lourdeur formelle : tout sujet potentiellement fâcheux (homosexualité, drogue, alcool) est alors abordé par le biais d’un « very special episode » (parfois téléguidé par le pouvoir politique lui-même, comme quand Nancy Reagan viendra dire « Just say no » dans Arnold et Willy), qui explique à nos chères têtes blondes ce qu’il faut faire et ne pas faire. La morale – lénifiante – est sauve.

 

Il faudra bel et bien attendre l’orée des années 2000 pour que, sous l’influence croisée du cartoon pour adultes (Les Simpson, South Park, King of the Hill) et du documentarisme nihiliste de la télévision anglaise (The Office, Peep Show), la cellule familiale implose pour de bon, et le genre avec elle : les parents sont débordés ou psychotiques, les enfants neuneus, parfois pour des raisons cliniques. Malcolm et Arrested Development sont des exemples parlants du chemin parcouru par le genre depuis ses débuts. Dans WandaVision, cela correspond d’ailleurs aux épisodes ou la famille se déchire. Wanda, redevenue célibataire, grille un fusible et se demande très sérieusement si elle n’est pas une mauvaise mère. Ce n’est pas très drôle, et pour cause, il n’y a plus de quoi rire : tout cela s’avèrera être un simulacre, un miroir aux alouettes. Il n’y a jamais eu de canapé cosy, de voisine fouinarde ou de mari attentionné, et il n’y en aurait jamais : rien que de la souffrance, du deuil impossible et le manque infini d’un doux foyer si longtemps désiré. On retrouve cette idée, vue dans The Truman Show ou Pleasantville, d’une réalité invivable que Wanda tente de fuir pour chercher le confort douillet d’une sitcom rétro au charme aseptisé. Vu la période qu’on traverse, on pourrait difficilement lui jeter la pierre ; on serait presque tentés d’en faire de même. 

WandaVision, Jac Schaeffer, 2021 (1 saison). Avec : Elizabeth Olsen, Paul Bettany, Kathryn Hahn, Teyonah Parris, Kat Dennings.

Et pour poucer, commenter, réagir à un "blog unique et éblouissant" (citation de Blogger) : Sitcom à la Maison !

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