Deadpool & Wolverine, dernier inventaire avant liquidation
Le Marvel Cinematic Universe (MCU pour les vrais de vrais), dont la déroute n'est plus à prouver, pouvait difficilement trouver meilleur sauveur que l'un des super-héros les plus populaires et les plus vénérés des trente dernières années, Wolverine. Un appel à l’aide permis par le rachat, en 2017, du catalogue de la Fox par Disney : alors que l’homme aux griffes acérées et ses collègues mutants évoluaient jusqu’à présent dans une chronologie autonome, ils ont été rapatriés dans celle où Iron Man et Captain America font la loi.
Capitalisant sur cette aubaine juridico-commerciale, Deadpool & Wolverine ne s’arrête pas en si bon chemin, et fait revenir une kyrielle de super-héros d’hier et d'avant-hier, voire certains qui n’avaient jusqu’ici jamais existé ailleurs que dans les fantasmes des fans. Tout cela vous paraît familier ? Logique : l’an dernier, Warner en a fait de même avec The Flash, qui compressait quatre décennies de longs-métrages labellisés DC Comics. Ce troisième volet de Deadpool en reprend le principe pour le cuisiner à sa sauce : potache et bardé de clins d’œil intempestifs à la culture pop. On rit ? Oui, assez, ne serait-ce que par épuisement : Deadpool & Wolverine est le genre de films qui, une fois un sujet de vanne trouvé, ne le lâche pas avant de l’avoir essoré. À devoir encaisser un gag toutes les dix secondes, vos nerfs finiront par lâcher.
S’il fallait vraiment chercher une généalogie au film, elle serait d’ailleurs moins à chercher du côté des Batman ou Iron Man que du cinéma de Mel Brooks, qui n’aimait rien tant s’emparer d’un genre précis – fantastique, western, space opera et même... muet ! – pour en tourner en dérision tous les tropes et les facilités. Avec, peut-être, une différence fondamentale : là où des rudiments sur la Rome antique ou la Révolution française suffisaient pour comprendre La Folle histoire du monde, cette “Folle histoire du MCU” s’adresse principalement, pour ne pas dire exclusivement, à ceux qui possèdent une solide culture des films de super-héros sortis depuis le début du millénaire... Exemple parmi d’autres : l’apparition de Chris Evans, qui n’est drôle que si l’on sait que l’acteur a joué la Torche humaine dans deux Quatre Fantastiques de sinistre mémoire avant de porter le bouclier de Captain America.
Cela dit, Deadpool & Wolverine aurait tort de se priver : même en ne s’adressant qu’au minimum minimorum de spectateurs, il devrait rapporter au studio Disney des pleines brouettes de biftons. (C'est déjà le cas à l'heure où l'on écrit ces lignes.) De là à dire, comme les cohortes de fans sur les réseaux sociaux le font, que c’est lui qui rallumera la flamme d'un Marvel Cinematic Universe qui prend l'eau, il y a un fossé, tant tout le film semble regarder dans le rétro et carbure à la nostalgie. Même quand il tente (sans grande conviction) de délaisser la gaudriole pour raconter une histoire cohérente, c’est sur le poids des regrets et des mauvais choix que l’on a faits.
Surtout, plus qu’un pot de bienvenue du personnage au sein de la grande famille Disney, c’est avant tout un enterrement en grande pompe pour des personnages rapidement abandonnés au cinéma, parce que pas assez rentables ou adaptés avec les pieds. On sent une vraie tendresse de l’acteur-producteur Ryan Reynolds et du réalisateur Shawn Levy, pour ces joujoux dont le public s’est vite lassé, un peu comme l’Andy de Toy Story, qui délaisse sa figurine de cowboy le jour où on lui offre un astronaute. Une affection qui ressort particulièrement le temps d’un clip show final, monté au son du très sentimental Good Riddance de Green Day et rendant hommage aux super-héros de la Fox, saga ciné où les réussites éclatantes côtoient les fantastiques fours. Paradoxalement, c'est peut-être ce qu'il y a de plus subversif dans un film aux crocs par ailleurs assez émoussés ; alors que l'ogre Disney ne rêve que d'avaler les capés qui osent emprunter un chemin différent du sien ou, faute de mieux, brocarde ceux qu'il ne pourra pas racheter (voir ce caméo, assez symptomatique, d'Henry Cavill) comme pour nous rappeler cette vieille ritournelle thatchérienne qu'« il n'y a pas d'alternative », Deadpool & Wolverine offre un dernier tour de piste à des héros tricards que d'autres moins scrupuleux auraient laissé au fond du coffre à jouets.
Deadpool & Wolverine, Shawn Levy, 2024. Avec : Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin, Matthew Macfadyen, Jennifer Garner.