Avatar : La Voie de l'Eau, l'évangile selon James Cameron

Pour comprendre l’existence d’Avatar : La Voie de l’eau, il faut revenir à 1986 et Aliens, le retour. À l’époque, James Cameron n’a réalisé que deux films : Piranha 2 (déjà une histoire de flotte, tiens) et Terminator. Grâce au succès de ce dernier, il peut sérieusement s’attaquer à ce projet de séquelle déjà en cours chez la Fox dont il s’est amouraché. Mais le studio s’interroge : une suite à Alien, vraiment ? Le film avait certes bien marché, sans casser la baraque. Ridley Scott et Sigourney Weaver eux-mêmes semblent être passés à autre chose depuis un bail. Et, plus prosaïquement, tous les protagonistes du film, à l’exception d’Ellen Ripley, n’ont-ils pas été occis ? On connaît, justement, la suite : avec Aliens, Cameron lance dans une nouvelle direction une saga qui vi(vo)t(e) encore aujourd’hui. Mieux encore : tout le monde ou presque s’accorde à dire que, fait rarissime, cette suite-là est supérieure à l’original. Un coup fumant que le cinéaste réitèrera avec Terminator 2 quelques années plus tard.

Si l’on remonte aussi loin, c’est avant tout pour rappeler quelle est précisément la place de James Cameron dans le paysage hollywoodien contemporain. JC n’est pas uniquement devenu riche et célèbre avec ses sagas : c’est lui qui a imposé l’idée qu’une suite pouvait être autre chose qu’une vulgaire capitalisation sur un beau premier succès – voir la dégringolade de la saga Les Dents de la Mer pour se faire une idée des tendances de l’époque – à une ère où les studios ne foraient pas encore la propriété intellectuelle comme d’autres du pétrole dans le désert. Lui aussi qui a, par son intransigeance, inventé, plus encore qu’un Lucas ou un Spielberg, le « blockbuster d’auteur », et pavé la voie à Christopher Nolan ou Denis Villeneuve. Car oui, Avatar est, quoiqu’on en pense, du cinéma d’auteur, où l’on retrouve les marottes, les qualités, les défauts, le point (et l’angle) de vue du réalisateur de True Lies. À ceux qui font devant la grimace en disant « Encore une histoire de fonds marins ? » – comme d’aucuns disent « Encore une histoire de mafieux ? » chez Scorsese –, on rétorquera : oui, c’est ce qu’on appelle le style.

Rien que de l’eau

Abyss, Titanic, ses documentaires Les Fantômes du Titanic ou Aliens of the Deep, et même ses projets fictifs, ne racontent qu’une seule chose : l’eau comme élément et comme sujet de cinéma. Pour lui donner corps et en faire un personnage de cinéma à part entière, Cameron n’aura cessé de s’attacher aux dernières techniques (performance capture, caméras amphibies, usage de la 3D) et la remettre sans cesse au centre du débat. Une passion sans doute aveuglante, peut-être aveuglée, qui trouve aujourd’hui un aboutissement dans Avatar : La Voie de l’Eau qui est, allez n’ayons pas peur d’être emphatiques, une date dans l’histoire du cinéma.

On ne sera probablement jamais ce que ressentaient les premiers spectateurs de cinéma de l’histoire devant des films comme L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat. On ne peut que subodorer mais ils vivaient probablement une expérience sensorielle comparable à celle que l’on découvre devant ce deuxième volet. Cameron lui-même en semble conscient et délaisse pendant un bon tiers de son film les affrontements martiaux sans intérêt pour céder la place à des ballets aquatiques qui sont des parenthèses de poésie. De purs moments de grâce, qui font que l’on pardonne volontiers tout le reste au film : sa longueur-marathon (3 heures 12, bon courage à votre vessie), ses affrontements manichéens, ses gunfights interminables, ses seconds rôles interchangeables, ses dialogues atroces…

Lanterne magique

Dans un article de 1998 resté fameux, l’essayiste et romancier David Foster Wallace (connu pour son roman L’Infinie Comédie) partait déjà de Terminator 2 pour théoriser ce qu’il appelait le « porno des effets spéciaux » pour décrire ce cinéma si dépendant des effets visuels (et par conséquent si cher) que toutes ses autres composantes doivent, pour amasser du bif, suivre des formules des plus usitées. « Un film qui coûte des centaines de millions de dollars à produire n’obtiendra son financement que si et seulement si ses investisseurs peuvent être absolument – absolument – sûrs qu’ils récupèreront au moins leurs centaines de millions de dollars ; ce qui signifie qu’un film à gros budget ne doit pas échouer (et on parle d’« échec », dans ce cas, quand ce n’est pas un succès retentissant), et doit donc adhérer à certaines formules fiables qui ont déjà garanti des succès retentissants. »

Qui oserait écrire l’inverse à propos d’Avatar : La Voie de l’Eau, tour de force visuel et esthétique au storytelling dangereusement prévisible ? (Et l’on ne parle même pas là des auto-citations cameroniennes, comme l’armure exosquelette, des robots marchant au pas d’oie ou un coda situé à bord d’un bateau aux proportions… titanesques). Ainsi, ce numéro 2 est sans doute le plus beau (et plus long) spot de pub jamais tourné pour l’expérience en salle – la vraie, l’immersive, celle qui nous émerveille et nous met dans le même état, là encore, que ceux qui découvraient naguère la lanterne magique et ses promesses. Faites si vous voulez l’expérience – nous, on ne se l’infligera pas – de découvrir La Voie de l’eau sur un écran de téléphone : vous risqueriez de faire, pour reprendre le bon mot de Denis Villeneuve, « du hors-bord dans une baignoire », et même de boire la tasse.

Avatar : La Voie de l'Eau (Avatar: The Way of Water), James Cameron, 2022. Avec : Sam Worthington, Zoe Saldana, Stephen Lang, Cliff Curtis, Sigourney Weaver.

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