Superman : du neuf avec du bleu ?
Jimmy Olsen n’a plus le blues. Finie, l’approche sombre et mythifiante de Zack Snyder. Remisés, les visions apocalyptiques et l’héroïsme nietzschéen chers au réalisateur de Sucker Punch. Snyder, cinéaste favori des incels et trolls numériques, cède la place au romantico-irrévérencieux James Gunn, transfuge de l’écurie ciné Marvel. Pour le reste, le mot d’ordre de cette nouvelle cuvée pourrait être ce fameux refrain des Who : « Meet the new boss, same as the old boss. » L'ancien patron laisse la place au nouveau mais la révolution n’est pas pour tout de suite. Même plus rapide qu’une balle, même plus puissant qu’une locomotive, l’Homme d’acier ne parvient pas à courir plus vite que les tendances et les obsessions que son époque. Mais le veut-il seulement ?
Superman affiche pourtant d’emblée des signes extérieurs de renouveau. Louable, déjà, est l’idée de commencer le film en plein milieu de l’action – plus audacieux encore : d’une scène de bataille – et d’expédier en quelques phrases écrites à l’écran ce que tout le monde sait déjà : comment le dernier fils de Krypton est arrivé sur Terre, les braves fermiers ricains chez qui il a atterri, la mission colossale dont il est investi. Superman est peut-être le plus pur, le plus iconique, le plus détourné des héros qui peuplent notre culture occidentale ; ça, James Gunn le sait, et nous épargne les lapalissades d’une énième origin story. Mieux, Superman nous demande d’emblée de prendre pour acquis la relation entre Superman, Clark Kent et Lois Lane : oui, Clark et Lois (Rachel Brosnahan, survoltée) sortent ensemble ; oui, Lois est au courant de la double identité du héros et bien consciente des tensions causées par ce trouple virtuel. Les quelques scènes entre Lois et Clark sont le prétexte à des dialogues mitraillette à la Hawks ou Lubitsch – screwball comedy 2.0 dont Brosnahan est devenue la reine depuis la série La Fabuleuse Mme Maisel.
Cela dit, le principal apport de James Gunn – le traitement du personnage éponyme – tient moins de la réinvention que du retour aux sources. Au fond, la rencontre entre Zack Snyder et Superman tenait depuis toujours du malentendu : rétif à faire ressurgir l’esprit boy-scout et l’inoxydable optimisme d’un personnage dont c’est pourtant l’ADN, Snyder en faisait un simili-Batman, énième fils à maman torturé, hanté par les pertes humaines qu’il cause, sacrificiel jusqu’à la tombe. Gunn évite un pareil contresens et Kal-El ressemble davantage ce qu’il est depuis toujours dans les comic books : un gamin investi d’une mission qui le dépasse. Un fils obéissant drapé dans des idéaux trop encombrants pour lui – qu’il s’agisse de l’exceptionnalisme kryptonien ou de l’American way of life – qui, comme tous les mecs bien peignés, rêverait d’être un punk mal rasé. L’interprétation placide de David Corenswet, sorte de Henry Cavill en moins marmoréen, moins parfait, accrédite cette idée du géant aux pieds d’argile.
Avec mes copains et mes copines
Dommage qu’une fois ces interprètes rénovés et dépoussiérés, James Gunn se contente de les faire jouer une pièce des plus convenues, et raccroche son long-métrage à des canevas auxquels tout film de super-héros ne parvient plus à échapper. Exemple quintessentiel : cette escouade de méta-humains, le Justice Gang, sympathiques machines à punchlines que le film introduit avant de nous faire comprendre qu’au moins deux tiers d’entre eux n’ont pas tant que ça à faire là. Etrange idée, en effet, d’avoir adjoint au plus invincible de tous les super-héros des sidekicks qui lui sont modérément utiles.
Subodorons qu’il y a au moins deux raisons à la présence de ce Justice Gang : premièrement, Gunn a gagné ses galons de cinéaste en mettant en scène des super-héros travaillant en clique, en crew. Qu’il s’agisse des Gardiens de la Galaxie, du Suicide Squad ou des Creature Commandos, les dynamiques interpersonnelles, les mesquines rivalités et les joutes verbales sont constitutifs des groupes qu’il affectionne. Adjoindre à Kal-El des collègues forts en gueule et en muscle, c’était donc jouer à domicile. Deuxièmement, il s’agit là d’un paradigme plus global : depuis Avengers (2012), tout film de super-héros – quand bien même il porterait le nom d’un héros unique – n’est jamais qu’un long zakouski avant le prochain banquet dans lequel un studio (Disney-Marvel ou Warner-DC) fait converger tous ses héros maison. (Ceci n’est d’ailleurs pas sans lien avec cela : si Gunn s’est justement imposé en grand manitou de ce genre d’œuvres, c’est peut-être précisément parce qu’il sait si bien, comme jadis Joss Whedon, mettre en scène ce genre de récits choraux.) Sur la ligne d’arrivée, pas grand-chose ne distingue finalement ce Superman et ses super-potes de, disons, Thunderbolts*, dernière excroissance marvelienne qui nous teasait l’arrivée des New Avengers, une demi-décennie après la retraite des Vengeurs originels.
Partant, ce nouveau Superman fait peut-être acte de certificat de décès du film de super-héros à l’ancienne, celui où ledit film fonctionnait en autonomie – et ne constituait pas un produit d’appel pour une kyrielle d’autres œuvres à venir. Car si même Superman est obligé de bosser avec Green Lantern (qui reviendra bientôt sur vos écrans de télévision) ou sa cousine Supergirl (qui reviendra bientôt sur vos écrans de cinéma), qui pourrait bien prétendre faire cavalier seul ? Et d’ailleurs, pourquoi le film se priverait-il de le faire, et refuser à son public ce qu’icelui est venu chercher ? Son humour potache et l’importance disproportionnée qu’il accorde au super-clébard Krypto nous incitent à penser que ce Superman s’adresse principalement à une audience qui va des préados aux adulescents déjà nostalgiques. Or, c’est bien avec Avengers et ses clones que ce public-là a grandi, ceux-là qu’il considère comme la norme – pas les films premier degré de Richard Donner ou les relectures gothiques de Tim Burton.
New Superman, Same Old Mistakes
Autre tendance dont Superman ne parvient pas à se dégluer : ce besoin que ressentent peu ou prou tous les films de super contemporains de singer notre opaque époque pour la commenter bon an mal an, plutôt que d’inventer des mondes ex nihilo. Le terrorisme dans la trilogie Batman de Christopher Nolan, le colonialisme et le pillage de l’Afrique dans Black Panther, le populisme et notre obsession pour les gourous politiques dans Joker… En 2025, Lex Luthor est donc devenu un avatar trumpo-muskien, un tech bro qui se pique de politique et organise l’annexion d’un pays européen fictif – situation qui évoque directement les politiques coloniales entreprises, au choix, en Palestine ou en Ukraine. Pire encore : pour la première fois, Superman n’a plus uniquement à affronter des méchants venus d’ailleurs, mais aussi et surtout l’opinion populaire, habilement manipulée par les fossoyeurs de la vérité et les corbeaux réactionnaires officiant sur un pseudo-Fox News. Superman contre les fake news, en voilà un combat de titans ! L’Homme d’acier lui-même n’est pas tout blanc dans cette guerre civile 2.0 : pourfendeur du vigilantisme et défenseur de l’intérêt général (il sauve même les mignons petits écureuils…), il avoue toutefois à Lois Lane pratiquer, quand il le faut, une forme de torture soft sur certains chefs d’Etat étrangers particulièrement retors. On n’est jamais trop prudent.
Sans grande surprise, c’est donc Superman délaisse – enfin – le commentaire d’actualité pour plonger dans des contrées jamais cartographiées qu’il éblouit enfin. Au sein d’un « univers de poche » où son héros est retenu prisonnier, James Gunn renvoie cul par-dessus tête les lois de la physique et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour un monde enfin détaché du poids du réel, qui tient autant de Terry Gilliam que de Stephen Hawking. Jusqu’à une rivière de pixels dans laquelle nos héros sont happés, traversée du miroir des univers désormais presque intégralement numériques que ceux-ci habitent. Dommage que ça ne dure pas, et tienne du prêté pour un rendu ; après cette folle embardée, une énième destruction pompière et pompeuse (ici celle de Metropolis) se charge de remettre Superman sur les rails prévisibles du blockbuster contemporain pré-apocalyptique.
Un résultat en demi-teinte (de rouge et bleu), donc, pour ce millésime 2025 jamais aussi bon que lorsqu’il ose s’aventurer loin du carcan très (très) étroit de ce qu’est devenu le film de super-héros. Certes : du fait du niveau abyssal de la précédente salve de longs-métrages DC Comics, cette nouvelle tentative laisse présager d’un avenir forcément plus ensoleillé. Mais pas tant que ça non plus.
Superman, James Gunn, 2025. Avec : David Corenswet, Rachel Brosnahan, Nicholas Hoult, Edi Gathegi, Nathan Fillion.